Une vaste étude scientifique s’alarme du déclin de la biodiversité dans toutes les régions du monde : l’article du Monde et le communiqué LPO

L’humanité menace son propre bien-être en surexploitant la planète, provoquant ainsi un déclin de la faune et de la flore dans toutes les régions du monde, selon une vaste enquête scientifique dévoilée vendredi. «Cette tendance alarmante menace des économies, des moyens de subsistance, la sécurité alimentaire et la qualité de vie des populations partout», sur la Terre, avertissent quatre rapports élaborés par plus de 550 scientifiques pour la Plateforme intergouvernementale sur la biodiversité et les services écosystémiques (IPBES), réunie à Medellin, en Colombie.

La savanne africaine au Botswana.

Partout sur la planète, le déclin de la biodiversité se poursuit, « réduisant considérablement la capacité de la nature à contribuer au bien-être des populations ». Ne pas agir pour stopper et inverser ce processus, c’est mettre en péril « non seulement l’avenir que nous voulons, mais aussi les vies que nous menons actuellement ». Tel est le message d’alerte délivré par la Plate-forme intergouvernementale scientifique et politique sur la biodiversité et les services écosystémiques (IPBES), réunie du 17 au 24 mars à Medellin (Colombie), pour sa 6e session plénière.

Créée en 2012 sous la tutelle des Nations unies et rassemblant aujourd’hui 129 Etats, cette structure est qualifiée de « GIEC de la biodiversité », en référence au Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat. Sa mission est d’établir régulièrement la synthèse des connaissances disponibles sur la biodiversité (la variété des formes de vie sur la Terre), sur les impacts de son érosion et sur les pistes d’action possibles pour la préserver.

Elle livre le résultat d’un travail colossal, qui s’est étalé sur trois années. L’IPBES a divisé le globe en quatre régions : l’Afrique, les Amériques, l’Asie-Pacifique et l’Europe-Asie centrale – à l’exception, donc, des pôles et des océans. Chacune a fait l’objet d’un rapport de 800 à 1 000 pages, réalisé par plus de 550 experts bénévoles de 100 pays, à partir de plus de 10 000 publications scientifiques, mais aussi de sources gouvernementales ou non gouvernementales, ou encore de savoirs autochtones.

Pour chaque zone géographique, cette analyse est synthétisée dans un « résumé à l’intention des décideurs » d’une quarantaine de pages, négocié mot à mot et voté par les représentants des Etats membres. C’est ce document, qui constitue une sorte de consensus politique, qui doit servir de base à l’action des gouvernements, même s’il n’a pas de valeur contraignante.

Une immense exploitation de soja à Campo Verde, au Brésil.

Une immense exploitation de soja à Campo Verde, au Brésil.

Alf Ribeiro/Shutterstock.com

« Au cœur de notre survie »

« La biodiversité et les contributions apportées par la nature aux populations semblent, pour beaucoup, éloignées de nos vies quotidiennes. Rien ne pourrait être plus éloigné de la vérité,

observe le président de l’IPBES, le Britannique Robert Watson. Elles sont le socle de notre alimentation, de notre eau pure et de notre énergie. Elles sont au cœur non seulement de notre survie, mais aussi de nos cultures, de nos identités et de notre joie de vivre. »

On pourra juger restrictive cette approche, qui envisage la nature à l’aune des seuls services qu’elle rend à l’humanité, sans considérer que la survie des espèces animales et végétales est en elle-même précieuse. Mais l’objet des quatre rapports est de mettre en garde contre une chute de la biodiversité qui « met en danger les économies, les moyens d’existence, la sécurité alimentaire et la qualité de vie des populations partout dans le monde ». Aucune des régions étudiées n’échappe à une régression spectaculaire de sa biodiversité, avec des projections très alarmantes.

  • Afrique

« L’Afrique est le dernier endroit sur Terre avec un large éventail de grands mammifères, mais jamais par le passé il n’y a eu autant de plantes, poissons, amphibiens, reptiles, oiseaux et grands mammifères menacés qu’aujourd’hui, par une série de causes humaines et naturelles »

, note la Sud-Africaine Emma Archer. Quelque 500 000 km2 de terres sont déjà dégradées du fait de la déforestation, de l’agriculture non durable, du surpâturage, des activités minières, des espèces invasives ou du réchauffement.

Cela, alors qu’en zone rurale, la subsistance de plus de 62 % des habitants dépend de la bonne santé des milieux naturels, et que la population du continent est appelée à doubler d’ici à 2050, pour atteindre 2,5 milliards de personnes. Le défi est immense : à la fin du siècle, certaines espèces de mammifères et d’oiseaux pourraient avoir perdu plus de la moitié de leurs effectifs, et la productivité des lacs (en poissons) avoir baissé de 20 % à 30 %, en raison du dérèglement climatique.

  • Asie-Pacifique

En Asie-Pacifique, la biodiversité est confrontée à des menaces sans précédent, allant des phénomènes météorologiques extrêmes et de l’élévation du niveau de la mer, aux espèces exotiques envahissantes, à l’intensification de l’agriculture, à la surpêche et à l’augmentation des déchets et de la pollution. Malgré quelques succès pour protéger ces écosystèmes vitaux – les aires marines protégées ont augmenté de 14 % en vingt-cinq ans et le couvert forestier a progressé de 23 % en Asie du Nord-Est –, les experts craignent qu’ils ne suffisent pas à enrayer le déclin de la biodiversité et des services que retirent les 4,5 milliards d’humains qui vivent dans ces pays.

Aujourd’hui, 60 % des prairies d’Asie sont dégradées, près de 25 % des espèces endémiques sont menacées et 80 % des rivières les plus polluées par les déchets plastiques dans le monde s’y trouvent. Si les pratiques de pêche se poursuivent au même rythme, la région ne comptera plus de stocks de poissons exploitables d’ici à 2048. Jusqu’à 90 % des coraux, qui revêtent une importance écologique, culturelle et économique critique, souffriront d’une grave dégradation avant le milieu du siècle, même dans l’hypothèse d’un changement climatique modéré.

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Un homme collecte des plastiques apportés par la mer, à Manille, aux Philippines. aldarinho/Shutterstock.com

  • Amériques

Sur le continent américain aussi, l’impact du dérèglement climatique sur la biodiversité va s’intensifier d’ici au milieu du siècle, devenant un facteur de déclin aussi puissant que le changement d’affectation des terres. Globalement, les populations d’espèces indigènes ont décru de 31 % depuis la colonisation par les Européens et ce taux pourrait monter à 40 % au milieu du siècle. Par rapport à leur état originel, plus de 95 % des prairies d’herbes hautes d’Amérique du nord, 66 % des forêts tropicales sèches des Caraïbes, 50 % de la savane tropicale et 17 % de la forêt amazonienne en Amérique du sud ont été transformés en des paysages dominés par l’homme.

Les auteurs notent que jusqu’ici, « les peuples autochtones et les communautés locales ont créé une diversité de systèmes de polyculture et d’agroforesterie », qui ont bénéficié à la biodiversité. Mais cette synergie avec les écosystèmes et ces savoirs locaux sont eux aussi en voie d’extinction.

  • Europe-Asie centrale

Enfin, en Europe et Asie centrale, la situation n’est guère meilleure : 42 % des animaux terrestres et des plantes ont enregistré un déclin de leurs populations au cours de la dernière décennie, de même que 71 % des poissons et 60 % des amphibiens. En outre, 27 % des espèces et 66 % des habitats évalués sont dans un « état de conservation défavorable » dans l’Union européenne.

La première cause de cette hécatombe réside dans l’intensification de l’agriculture et de l’exploitation forestière, et particulièrement dans l’usage excessif de produits agrochimiques (pesticides, engrais). Résultat : la région consomme plus de ressources naturelles renouvelables qu’elle n’en produit, l’obligeant à en importer massivement d’autres zones du monde. Le rapport souligne aussi le rôle du changement climatique, qui sera l’un des principaux fléaux pesant sur la biodiversité d’Europe et d’Asie centrale dans les prochaines décennies.

Lire aussi :   Face au « choc climatique », la biodiversité menacée d’extinctions massives

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Un bateau de pêche dans la mer des Wadden, aux Pays-Bas. Split Second Stock/Shutterstock.com

Ces quatre rapports confirment que la Terre est en train de subir sa sixième extinction de masse : selon les scientifiques, les disparitions d’espèces ont été multipliées par 100 depuis 1900, soit un rythme sans équivalent depuis l’extinction des dinosaures il y a 66 millions d’années. Mardi 20 mars, une étude du Muséum national d’histoire naturelle et du Centre national de la recherche scientifique alertait sur la « disparition massive » des oiseaux dans les campagnes françaises – leurs populations se sont effondrées d’un tiers en quinze ans – tandis que fin 2017, des chercheurs montraient que le nombre d’insectes volants a décliné de 75 % à 80 % en Allemagne depuis le début des années 1990.

Lire aussi :   Les oiseaux disparaissent des campagnes françaises à une « vitesse vertigineuse »

Développer les aires protégées

N’y a-t-il donc aucun espoir ? Les scientifiques veulent croire qu’il est encore possible d’agir pour enrayer ce déclin. Ils appellent, pêle-mêle, à développer les aires protégées, à restaurer les écosystèmes dégradés (notamment les forêts), à limiter les subventions à l’agriculture et à l’exploitation forestière intensives, à intégrer la protection de la biodiversité dans toutes les politiques publiques, à sensibiliser davantage le grand public pour inciter à des changements de comportement ou encore à poursuivre les efforts de conservation. En Europe, ces politiques ont par exemple conduit à sauver d’une extinction locale les populations de bisons ou de lynx ibériques, et à réhabiliter les régions boisées des Açores, de Madère et des Canaries.

« Pour la première fois, en Europe, nous indiquons qu’il faut une transformation plus radicale des modes de vie et de consommation, sans quoi nous n’atteindrons pas les objectifs de développement durable et de protection de la biodiversité », souligne Sandra Lavorel, écologue des écosystèmes (université de Grenoble), qui a participé à la rédaction du rapport. « L’un des chapitres importants de notre travail est celui de la gouvernance. La question de la biodiversité doit être prise en charge à tous les échelons, Etats, communautés, citoyens », complète Jérôme Chave, écologue au CNRS, qui a contribué au rapport sur les Amériques.

Un cinquième rapport sera publié lundi 26 mars, sur l’état des sols du monde, de plus en plus dégradés par la pollution, la déforestation, l’exploitation minière et les pratiques agricoles. Lors de sa prochaine réunion plénière en mai 2019, l’IPBES produira son bilan mondial de la biodiversité et non plus des analyses régionales. Une session que la France a proposé d’accueillir.

Le Monde, par Audrey Garric et Pierre Le Hir

 

Effondrement de la biodiversité

L’IPBES tire à nouveau la sonnette d’alarme !

La LPO interpelle le gouvernement français

Les experts internationaux réunis au sein de l’IPBES -plateforme intergouvernementale sur la biodiversité et les services écosystémiques, correspondant au GIEC pour le Climat- viennent de rendre de nouvelles conclusions sur l’état de la nature et des sols. En Europe et Asie centrale, 42% des animaux terrestres et des plantes, 71% des poissons et 60% des amphibiens ont subi un déclin au cours de la dernière décennie. 27% des espèces et 66% des habitats sont dans un état de conservation défavorable.

Cette synthèse actualisée des études scientifiques dans le monde vient malheureusement conforter, si besoin était, les conclusions convergentes des études européennes dont, à titre d’exemples : la perte de 421 millions d’oiseaux en Europe selon une étude d’« Ecology Letters » publiée en 2014, chiffres confortés cette semaine encore par le rapport du MNHN sur les données STOC  ;une étude allemande publiée le 18 octobre 2017 qui témoigne de l’effondrement de 80% des insectes en 30 ans (et dans les espaces protégés qui plus est) ; les listes rouges de l’UICN qui s’allongent à chaque publication, y compris pour les espèces européennes.À l’état naturel, 80% de la biomasse des terres émergées sont contenus dans les sols. Les lombrics à eux seuls représentent de 1 à 4t/ha. Aujourd’hui, les sols cultivés intensivement ne recèlent pas plus de 200 kg de biomasse par hectare, voire jusqu’à seulement 50 kg/ha. En France, les sols perdent entre 10 et 40 t/ha/an de terre. En milieux agricoles les pesticides ont un impact majeur sur les oiseaux des champs en raison de l’effondrement des ressources alimentaires en invertébrés (néonicotinoïdes) et en graines de plantes sauvages (herbicides). La France figure parmi les 7 pays abritant le plus grand nombre d’espèces menacées au monde, ce qui lui confère une forte responsabilité en matière de biodiversité. Comme d’autres pays elle ne s’est toujours pas donné les moyens pour remplir ses obligations fixées par la Convention sur la diversité biologique.Les causes de ce qui est communément appelé la sixième extinction du vivant sont connues :Artificialisation et disparition des milieux naturels : destruction des milieux méditerranéens originaux, destruction des milieux humides, aménagements multiples, espaces verts et jardins propres (et vides), disparition du bocage qui se poursuit contrairement aux affirmations de l’administration.Pollutions diverses : pollution lumineuse, pollution sonore agricole, pollution sonore marine, pollution marine aux hydrocarbures, pesticides, pollution à la bromadiolone (raticide) auxquels il faut rajouter les 8000 tonnes de plomb déversées dans la nature par la chasse et les balltraps.Surexploitations et dérangements : chasse (20 oiseaux en mauvais état de conservation toujours chassés en France métropolitaine), braconnage, surfréquentation, surexploitation des ressources marines, surexploitation forestière.Le réchauffement climatique et les espèces exotiques envahissantes.

Bien sûr la même espèce est soumise à des doubles, triples ou quadruples peines.

Et la grande championne du palmarès de la destruction du vivant est… l’agriculture ! Ou plutôt un certain modèle agricole qui cumule destruction des milieux, empoisonnements, dérangements, surexploitation des sols, destruction de la biomasse d’insectes…

Le candidat Emmanuel Macron s’était engagé à faire de la protection de la biodiversité une priorité (voir les engagements présidentiels joints). Depuis un an, rien n’a été fait ou presque, à l’exception de l’interdiction du glyphosate annoncée à l’échéance de trois ans.

Selon Allain Bougrain Dubourg, Président de la LPO et Président du COS de la Fondation pour la Recherche et la Biodiversité « l’heure n’est plus à soigner, à réparer une nature meurtrie, à gagner quelques petites victoires dérisoires, mais à inverser la tendance. Il s’agit de fermer le robinet plutôt que de continuer à éponger avec les moyens du bord. C’est-à-dire à arrêter d’encourager financièrement la destruction du bien collectif que représente la nature. Et pour commencer, il convient de changer le modèle agricole à l’occasion de la future révision de la PAC pour laquelle la France a un rôle primordial à jouer ».