Un projet de loi examiné à partir de mercredi vise à créer un établissement public unique de gestion et de protection de la nature.
C’est un peu le mariage de la carpe et du lapin. L’Agence française pour la biodiversité (AFB) et l’Office national de la chasse et de la faune sauvage (ONCFS) sont appelés à s’unir pour donner naissance, le 1er janvier 2020, à un nouvel établissement public, l’Office français de la biodiversité. Tel est l’objet principal du projet de loi examiné par les députés à partir du mercredi 23 janvier. Le gouvernement a engagé la procédure accélérée, avec une seule lecture par chambre parlementaire – signe de sa volonté de boucler au plus vite un dossier qui, pour certains, sent encore la poudre. Il devrait passer devant le Sénat d’ici au mois de mai, avant les élections européennes.
La création de la nouvelle entité « permettra de rapprocher les expertises complémentaires des établissements au service de la reconquête de la biodiversité, ainsi que de renforcer l’exercice de la police de l’environnement », explique le ministre de la transition écologique et solidaire, François de Rugy, dont la secrétaire d’Etat Emmanuelle Wargon défendra le texte devant les députés.
Ce projet de loi parachève en réalité la réforme de la chasse voulue par Emmanuel Macron, grand défenseur d’une activité qui participe à ses yeux de « l’identité française ». Le volet le plus symbolique en est la division par deux – de 400 à 200 euros – du prix du permis de chasse national, détenu aujourd’hui par environ 10 % des 1,2 million de pratiquants, dont la plupart n’ont qu’une licence départementale. Une mesure dont l’influente Fédération nationale des chasseurs(FNC) espère qu’elle relancera « un loisir » en perte de vitesse.
Dès le début de l’année 2018, le président de la FNC, Willy Schraen, avait annoncé « le feu vert » du chef de l’Etat pour cette réforme. Le pacte a été entériné lors d’une réunion, tenue le 27 août à l’Elysée, à laquelle participait le conseiller politique et lobbyiste des chasseurs, Thierry Coste. La présence de ce dernier avait alors ulcéré le ministre de la transition écologique et solidaire Nicolas Hulot et contribué à sa démission, annoncée avec fracas le lendemain. La baisse de moitié du prix du permis national a finalement été gravée, dans une certaine discrétion, dans loi de finances de 2019.
« Cadeaux »
Les « porteurs de fusil » ont aussi obtenu qu’un certain nombre de missions leur soient confiées. C’est ainsi que les fédérations élaboreront à l’avenir les plans de chasse au grand gibier (cerf, chevreuil, sanglier…), qui relèvent actuellement des préfets. Et une « gestion adaptative » va être mise en place, consistant à augmenter ou à réduire les quotas de chasse autorisés pour chaque espèce en fonction de l’état de leurs populations. Une approche dont Willy Schraen assure qu’elle est « son idée ».
C’est en contrepartie de ces « cadeaux » que les chasseurs ont accepté de rentrer dans le rang. Car ils s’étaient jusqu’ici farouchement opposés à ce que l’ONCFS, considéré comme leur domaine réservé – ils détiennent la moitié des sièges de son conseil d’administration –, rejoigne l’Agence française pour la biodiversité.
Cette dernière, issue de la loi sur la biodiversité d’août 2016 et mise en place le 1er janvier 2017, résulte elle-même de la fusion de quatre anciennes structures : l’Office national de l’eau et des milieux aquatiques, l’Agence des aires marines protégées, les Parcs nationaux de France et l’Atelier technique des espaces naturels. Mais, avant même sa création, les chasseurs avaient obtenu d’un autre président, François Hollande, l’assurance qu’ils conserveraient leur autonomie.
Pour que les tireurs de gibier ne donnent pas l’impression de rendre les armes, l’exécutif a choisi, plutôt que de ramener l’ONCFS dans le giron de l’AFB, de les regrouper au sein d’une nouvelle entité. Et de conserver une partie de la dénomination de chacun : d’où un « office français de la biodiversité ».
Au demeurant, l’union n’est pas aussi contre-nature qu’il y paraît. Certes, historiquement, l’ONCFS est lié au monde cynégétique. A sa création, en 1972, il s’appelait « Office national de la chasse », avant de devenir aussi, en 2000, celui de la faune sauvage. Pour autant, il compte dans ses missions la police de l’environnement, la lutte contre le trafic d’espèces menacées, le suivi des espèces protégées comme le loup, le lynx et l’ours, ou encore la recherche et l’expertise sur la faune sauvage et ses habitats.
Les chasseurs eux-mêmes se revendiquent volontiers comme les meilleurs « protecteurs de la nature ». Le projet de loi prévoit du reste qu’ils contribuent, à hauteur de 5 euros par permis, à des actions en faveur de la biodiversité – qui restent à définir –, l’Etat abondant cette somme de 10 euros.
« Dans le sens de l’histoire »
L’union de l’AFB, qui a surtout compétence sur les espaces aquatiques et marins, et de l’ONCFS, responsable des milieux terrestres, va en tout cas donner naissance à un opérateur public cohérent et puissant, présent sur l’ensemble du territoire métropolitain et ultramarin. Il disposera – cela reste à confirmer dans la loi de finances de 2020 – de l’addition des moyens humains et financiers de ses deux composantes : près de 1 700 agents et 115 millions d’euros de budget pour l’ONCFS, 1 300 agents et 225 millions d’euros de budget pour l’AFB. « Cette réorganisation va dans le sens de l’histoire, commente Olivier Thibault, directeur général de l’ONCFS. Elle va bénéficier à la gestion durable de la biodiversité dans tous ses aspects. »
L’une des missions de la nouvelle structure sera de renforcer la police de l’environnement, assurée par des inspecteurs veillant à la préservation des milieux naturels, mais aussi au respect des règles encadrant la chasse et la pêche. Le rapprochement des deux organismes devrait permettre d’affecter une quinzaine d’agents en moyenne par département à ces tâches, alors que, jusqu’à présent, les équipes étaient en nombre insuffisant sur le terrain.
Il reste moins d’un an au « préfigurateur » nommé par le gouvernement pour préparer la fusion, Pierre Dubreuil, directeur général délégué du Muséum national d’histoire naturelle, pour réussir un accouchement sans douleur. Car l’AFB, qui n’a que deux ans d’existence et qui n’a pas encore pleinement affirmé son identité, va fusionner avec un partenaire numériquement plus important et mieux enraciné qu’elle.
Or, le rôle du nouvel établissement public sera crucial. Il sera en quelque sorte le bras armé du plan en faveur de la biodiversité annoncé en juillet 2018 par le gouvernement. Cela alors que la France s’apprête à accueillir, en juin 2020 à Marseille, le congrès de l’Union internationale pour la conservation de la nature. Il lui faut donc se montrer exemplaire dans sa détermination à agir contre le déclin de la vie sauvage. Les derniers indicateurs montrent qu’il s’accélère non seulement à l’échelle de la planète, mais aussi sur le sol français.