Pour lutter contre le réchauffement climatique, rien de tel que les forêts: selon une étude publiée vendredi 5 juillet dans la revue Science, en planter l’équivalent d’un tiers de leur surface mondiale actuelle est réaliste, et permettrait d’éponger les deux tiers du carbone émis depuis la Révolution industrielle. A condition d’agir vite.
Menacées de toutes parts, les forêts mondiales constituent un inestimable puits de carbone. Dans son rapport publié en octobre 2018 sur l’objectif d’un réchauffement limité à +1,5°C, le groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat (Giec) estimait que ce but ne pourrait être atteint qu’en plantant un milliard d’hectares (Md ha) de forêts, en plus des 4,5 Md ha actuels.
1,8 MILLIARD D’HECTARES DE FORÊT EN PLUS
Au-delà des objectifs chiffrés, une telle reforestation, ou afforestation, est-elle possible? Oui, répond l’équipe de Tom Crowther, de l’école polytechnique fédérale de Zurich (Suisse), au terme d’une analyse d’images satellite. Selon les chercheurs, il serait même possible de planter jusqu’à 1,8 Md ha de forêt, ou bien 0,9 Md ha de couverture forestière,définie par la surface de la canopée.
Cela équivaudrait à un tiers de plus de forêt et de couverture arborée qu’actuellement, qui seraient plantées sur des terres dégradées, dominées par du sol nu, des arbustes ou des prairies. Les chercheurs ont laissé de côté les terres utilisées par l’homme (agriculture, villes), qui pourraient tout aussi bien porter plus d’arbres, accroissant encore plus ce potentiel mondial.
UN ASPIRATEUR À CARBONE
Selon l’équipe, rétablir des forêts sur de telles surfaces permettrait, une fois celles-ci devenues matures (c’est-à-dire en quelques décennies), d’absorber jusqu’à 205 milliards de tonnes de carbone, soit deux tiers des 300 milliards de tonnes émises par l’homme depuis la Révolution industrielle.
Selon Tom Crowther, «la restauration des forêts est la meilleure solution climatique actuellement disponible. Si nous agissons dès maintenant, cela pourrait réduire le taux atmosphérique de CO2 de 25%, aux mêmes niveaux qu’il y a un siècle. Toutefois, il faudra des décennies pour obtenir un tel effet. Il est donc crucial de protéger les forêts actuelles, et d’extirper les énergies fossiles de notre économie».
RUSSIE, ETATS-UNIS ET CANADA
Ce potentiel forestier est concentré sur plusieurs grands pays: plus de 50% de ces forêts potentielles pourraient être plantées en Russie (+151 millions d’hectares), aux Etats-Unis (+103 millions), au Canada (+78,4 millions), en Australie (+58 millions), au Brésil (+49,7 millions) et en Chine (+40,2 millions).
Lancé en 2011 par l’Allemagne et l’Union internationale pour la conservation de la nature (UICN), le Défi de Bonne vise à restaurer 150 millions d’hectares de forêt d’ici 2020, et a été étendu, lors du Sommet sur le climat de 2014 à New York, à 350 millions d’hectares d’ici 2030. Si ces engagements sont ambitieux, ils sont très en-deçà du potentiel: selon les chercheurs, 43% des 48 pays analysés se situent en-dessous de 50% des surfaces qu’ils pourraient replanter, tandis que 10% dépassent leur potentiel.
Reste à savoir quelle fraction de terres, au-delà des estimations satellitaires, pourrait effectivement être reforestée, les chercheurs n’ayant pas distingué les terres publiques des privées. Et tout programme massif de reforestation devra éviter plusieurs écueils, dont la plantation d’une seule espèce d’arbres, délétère pour la biodiversité. Autre menace, le risque d’incendies, comme en témoignent les plantations d’eucalyptus au Portugal.
UN CAPITAL QUI S’EFFRITE
Autre enseignement de l’étude: le temps presse, car le réchauffement va inéluctablement grignoter ce potentiel forestier. Si les forêts boréales, en particulier celles de Sibérie, devraient prospérer, celles des régions tropicales vont péricliter sous la chaleur. Dans un scénario climatique RCP8.5, option la plus pessimiste du Giec, ce potentiel de 0,9 milliard d’hectares de canopée pourrait en effet fondre de 233 millions d’hectares d’ici 2050.
Le Journal de l’Environnement, Le 05 juillet 2019 par Romain Loury