Des chercheurs américains ont étudié la physiologie des géants des mers pour comprendre les secrets et les limites du plus gros des animaux.
Pourquoi les baleines sont-elles si grosses, et pourquoi pas plus ? La question semble sortie de la bouche d’un enfant. Elle obsède en vérité depuis longtemps la communauté scientifique. Dans une étude publiée le 13 décembre par la revue Science, une équipe internationale, conduite par Nicholas Pyenson, conservateur des mammifères marins au Muséum d’histoire naturelle de Washington, apporte une réponse précise. Attendue, diront certains, puisque tout est ici affaire d’alimentation et d’énergie. Pourtant, il aura fallu dix années d’efforts, l’élaboration de dispositifs particulièrement ingénieux et des analyses complexes pour apporter la preuve de ce que l’on pouvait supposer.
Imaginons un instant l’expédition nécessaire pour poser une sonde sur une baleine de quelque 100 tonnes, et les trésors d’ingéniosité pour parvenir à mesurer l’énergie absorbée par le mammifère lors de chaque repas. Les chercheurs ont réalisé cette prouesse sur 300 individus, provenant de onze espèces.
Les sondes ont ensuite permis de suivre quelque 13 000 plongées et plus de 53 000 repas. Des analyses acoustiques et des études de bols alimentaires ont encore permis d’évaluer les calories absorbées – jusqu’à 10 millions pour un seul festin de krills chez la gigantesque baleine bleue – pour livrer un tableau complet incluant les deux grandes familles de baleines.
Deux sous-ordres
Car depuis 30 millions d’années environ, les géants des mers sont séparés en deux sous-ordres : les baleines à fanons, rassemblées dans le groupe des mysticètes, qui se nourrissent de grandes quantités de zooplancton, et les baleines à dents, les odontocètes (dauphins, orques, cachalots…), qui dévorent de grandes proies, souvent en profondeur. Avec un curieux paradoxe. Sur terre, observe la biologiste Terrie Willams, de l’université de Californie à Santa Cruz, dans un article de commentaire qui accompagne la publication, les plus gros carnivores s’attaquent aux plus grosses proies. Chez les mammifères marins, c’est l’inverse : les baleines bleues qui peuvent dépasser les 100 tonnes consomment de minuscules krills quand les cachalots s’attaquent à des calmars géants de plusieurs dizaines de kilos.
Pour les unes comme pour les autres, l’évolution semble cependant avoir sélectionné le gigantisme pour maximiser l’énergie absorbable.
Chez les baleines à dents, il a permis d’améliorer les capacités respiratoires, donc de plonger plus profondément afin d’occuper une niche vierge, et d’y multiplier les repas sans la nécessité de remonter en surface. Chez les baleines à fanons, cette croissance a entraîné le développement d’une immense bouche, prête à ingurgiter toujours plus de plancton.
« Nos données apportent la démonstration que dans les deux cas, il a fallu qu’apparaissent de nouveaux mécanismes : le filtrage chez les baleines à fanons, et l’écholocation chez les baleines à dents », souligne Jeremy Goldbogen, chercheur en biologie marine à l’université Stanford et premier signataire de l’article de Science….
Le Monde, 18 décembre
photo : Une baleine à bosse à environ 50 kilomètres (30 milles) au nord de Prince Rupert, en Colombie-Britannique. FISHERIES AND OCEANS CANADA / AFP