Le pangolin, inoffensif mammifère poussé vers l’extinction par la gloutonnerie et la cupidité humaines, tient-il sa revanche ? Le petit animal, qui fait l’objet d’une « Journée mondiale » le 15 février, est soupçonné d’avoir servi d’hôte intermédiaire au nouveau coronavirus SARS-CoV-2, entre la chauve-souris et l’homme. Des analyses conduites en 2019 par des chercheurs cantonais sur des pangolins javanais, issus d’une saisie des douanes chinoises, avaient déjà de quoi inquiéter : les animaux, finalement morts d’infections respiratoires, étaient porteurs de nombreux coronavirus. Certains étaient très proches du SARS-CoV, responsable de l’épidémie de SRAS qui a eu la Chine pour épicentre entre 2002 et 2004, faisant près de 800 morts.
Prolongeant ces observations, une équipe du Baylor College of Medicine (Houston) a mis en ligne le 13 février une analyse montrant une très grande proximité entre un coronavirus prélevé sur ces pangolins et SARS-CoV-2, particulièrement sur la séquence génétique codant la structure qui permet au virus de se lier aux cellules de l’arbre respiratoire humain.
Que cette piste – aussi évoquée par une équipe chinoise – soit ou non confirmée, le principe de précaution voudrait qu’on bannisse toute promiscuité entre humains et pangolins. Force est de constater les parallèles avec l’épidémie du SRAS. Le SARS-CoV avait transité de la chauve-souris à l’homme en passant par la civette, prisée par certains gourmets asiatiques. Les autorités chinoises l’ont depuis bannie des étals des marchés : la farouche civette masquée est retournée à sa clandestinité forestière. L’histoire repasserait-elle les plats, avec un autre ingrédient ?
La famille des pangolins, ces insectivores couverts d’écailles, compte huit espèces, toutes inscrites dans l’annexe 1 de la Convention sur le commerce international des espèces menacées (Cites) : leur commerce international est interdit depuis 2017. Prisé en Afrique et plus encore en Asie pour sa viande comme pour ses écailles parées de mille vertus thérapeutiques, l’animal fait pourtant l’objet d’un traffic international qui met en péril sa survie.
Parmi les quatre espèces africaines, deux sont encore considérées comme seulement « vulnérables ». Le pangolin à ventre blanc et le géant terrestre sont désormais eux aussi classés « en danger », en raison d’un déclin probable de 50 % en vingt ans, en partie dû au report du trafic international vers l’Afrique comme source d’approvisionnement. Un rapport de l’ONG Wildlife Justice Commission (WJC), rendu public le 10 février, documente « la croissance rapide du traffic à l’échelle industrielle des écailles de pangolin (2016-2019) ». L’enquête du WJC fait état de 206 tonnes d’écailles confisquées aux trafiquants au cours de
52 saisies sur cette période. Cela représentait entre 57 000 et 570 000 animaux sacrifiés, selon l’espèce prise comme base de calcul.
Nouvelle « route des écailles »
« Nous pensons que ces chiffres ne représentent qu’une fraction du trafic, car il est probable qu’une proportion importante de la contrebande passe inaperçue », estime Sarah Stoner, directrice du renseignement du WJC, dans un communiqué. Selon l’ONG néerlandaise, en raison de la baisse de la valeur de l’ivoire d’éléphant, les réseaux du crime organisé ont diversifié les produits écoulés mais doivent transporter de grandes quantités d’écailles pour maintenir leurs marges : le prix du kilo d’écailles est inférieur à celui de l’ivoire. Il se négociait à 52 dollars en 2018 au Nigeria, pour atteindre respectivement 226 et 283 dollars en Indonésie et au Vietnam. Le prix de détail le plus élevé relevé par les enquêteurs de l’ONG atteignait 739 dollars le kilo au Laos.
Le Nigeria et le Vietnam jouent un rôle éminent dans une nouvelle « route des écailles », les deux pays étant impliqués dans 84 % des cargaisons détectées entre 2018 et 2019. « Le Nigeria est une plaque tournante en Afrique », con#rme le naturaliste Ray Jansen (Université de technologie de Tshwane, Afrique du Sud), qui a collecté les données concernant ce continent pour le WJC.
Le marché était jusqu’alors dopé par une forte demande asiatique, notamment chinoise. Même si en Chine le braconnage et le commerce des pangolins sont illégaux, l’industrie pharmaceutique est autorisée à produire des traitements en médecine traditionnelle : en 2016, 700 hôpitaux disposaient de licences pour vendre quelque 66 médicaments à base d’écailles. La vente en ligne serait aussi un moyen commode pour «blanchir» le trafic illégal. La décision, en août 2019, des autorités chinoises de suspendre à compter de janvier 2020 le remboursement de la pharmacopée à base de pangolin – et de nombreuses autres espèces – pourrait changer la donne, espère le WJC. L’apparition du nouveau SARS-CoV-2 et sa paternité encore douteuse aussi.
« S’il se confirme que le nouveau coronavirus a bien muté dans le pangolin avant d’être transmis à l’homme, cela pourrait être une bonne chose pour cet animal, estime Ray Jansen. La consommation de viande pourrait baisser. Mais certains pourraient être tentés de tuer les pangolins pour éliminer le virus. » Des singes hurleurs se sont ainsi retrouvés doublement victimes de la fièvre jaune, en 2017, au Brésil. « Mais les gens pourraient décider qu’il est simplement plus prudent de laisser les pangolins tranquilles… », espère Ray Jansen.
Hervé Morin/Le Monde/17 février
photo : pangolin javanais/rimba-ecoprojet