Bien que largement moins toxique que les insecticides chimiques, le Bti, utilisé pour la démoustication, aurait d’importants effets sur la biodiversité, estiment des scientifiques dans la revue Science of the Total Environment. En cause, ses effets collatéraux sur d’autres insectes, en particulier les larves de chironomes, avec des effets en chaîne sur la biodiversité des zones humides.
Certes, on est bien loin du «Printemps silencieux»dénoncé en 1962 par l’écologiste Rachel Carson, première à donner l’alerte contre les pesticides. Décédée en 1964, l’Américaine pointait alors les méfaits du DDT, insecticide très toxique, sur la faune sauvage, bien au-delà des seuls insectes.
En matière de démoustication, les temps ont changé: la mode n’est plus au DDT, interdit dans les années 1970 et désormais remplacé par des substances moins nocives. Parmi elles, la principale est le Bti, découvert en 1976, qui consiste en spores de la bactérie Bacillus thuringiensis. Ingérée par les larves (aquatiques) de moustiques, elle sécrète des toxinesqui désorganisent le tube digestif, entraînant la mort de l’animal.
EN CAMARGUE DEPUIS 2006
Découvert en 1976, cet insecticide est largement utilisé dans le monde, notamment en France, où il est épandu sur les zones humides à la main, par pulvérisateur ou par voie aérienne. En Camargue, où les moustiques pullulent, il est utilisé depuis 2006. Si l’intérêt sanitaire, celui de la prévention des maladies vectorielles, est souvent mis en avant, il s’agit avant tout de réduire les nuisances, parfois très prononcées, subies par les riverains et les touristes.
Or dans une revue de littérature publiée dans Science of the Total Environment, cosignée par des chercheurs français (université Grenoble-Alpes, Tour du Valat[i]), Carsten Brühl, de l’université allemande de Coblence-Landau, et ses collègues estiment que l’emploi du Bti, malgré sa faible toxicité pour les espèces non cibles, et loin d’être anodin.
Outre les larves de moustiques, cet insecticide décime aussi d’autres larves aquatiques de diptères, dont celles des chironomes, connues sous le nom de ‘vers de vase’.Les chironomes et les moustiques constituant l’un des piliers des chaînes alimentaires des zones humides, il y a fort à craindre que les espèces s’en nourrissant pâtissent aussi, indirectement, du Bti. Parmi elles, les libellules, les araignées, les amphibiens, les chauves-souris, les oiseaux insectivores et les musaraignes.
DES EFFETS EN CHAÎNE
Ainsi, des travaux menés par la Tour de Valat ont montré une réduction de 50% de l’abondance de libellules dans les zones traitées, ainsi que de 36% de mortalité chez les jeunes hirondelles, principalement nourries à base de chironomes et de moustiques. Ces insectes constituent en effet une ressource essentielle pour les oisillons, en raison de leur richesse en protéines et de leur corps mou, plus facile à digérer. D’autres études ont par ailleurs montré une toxicité des adjuvants sur de amphibiens.
«Bien que les effets directs du Bti soient principalement limités aux moustiques et aux chironomes, la position de ces insectes à la base des chaînes alimentaires (ou réseaux trophiques) entraîne un effet domino susceptible d’affecter un grand nombre d’espèces animales jusqu’au sommet de celles-ci», explique la Tour du Valat.
«Le Bti a gagné du terrain en s’immisçant de plus en plus dans les milieux naturels exempts de toute démoustication préalable. Est-ce le résultat de notre déconnexion croissante à la nature où tout ce qui ne nous paraît pas utile doit être éradiqué? Est-ce la conséquence d’une industrie qui a le vent en poupe et gagne des adeptes à crier haut et fort que se débarrasser des moustiques n’a aucune conséquence environnementale, alors pourquoi s’en priver?», s’interroge le centre de recherche, qui appelle à «des alternatives encore plus respectueuses de l’environnement», tels les pièges à CO2, les moustiquaires et les répulsifs naturels.
[i] Située en Camargue sur la commune d’Arles, la Tour du Valat est un centre de recherche pour la conservation des zones humides méditerranéennes. Fondée en 1954 par le philanthrope et défenseur de l’environnement suisse Luc Hoffmann (petit-fils du fondateur du laboratoire pharmaceutique Hoffmann-La Roche, désormais Roche), il s’agit d’une fondation privée à but non lucratif, reconnue d’utilité publique.
Le Journal de l’Environnement/Romain Loury/20 juillet
photo : Epandage de Bti sur l’étang de Napoléon (Bouches-du-Rhône) DR