Dans les brumes dorées d’une aube naissante, un renard se faufile le long d’une haie exubérante. Dans le poulailler, le coq chante, les poules ouvrent un œil, gloussent, étirent leurs ailes. La grosse jument s’ébroue dans l’herbe constellée de perles de rosée. Le renard poursuit sa route et file droit vers le verger où il entreprend de poursuivre les campagnols. Caché dans une meule de foin, Michel le paysan l’observe à travers ses jumelles et, contre toute attente, il l’encourage. A voix basse, il entreprend alors de nous raconter son histoire, celle de ce renard et du contrat tacite qu’ils ont passé tous les deux. Lorsque le goupil dépose un instant ses proies pour se délecter de quelques fraises grappillées ici et là dans les rangs bien ordonnés de son verger, Michel, loin de s’offusquer, le remercie intérieurement pour son aide irremplaçable d’exterminateur écologique de rongeurs : « Cela vaut bien quelques fraises, non ? » Et d’aller ouvrir la porte du poulailler pour libérer les poules qui s’égayent dans la prairie en caquetant de plaisir.

C’est donc l’histoire de Sébastien, qui laisse brouter ses brebis au cœur de son verger, c’est l’histoire, sur les hauts plateaux du Jura, de Michel et Béatrice et du renard qui protège gracieusement, là aussi, les prairies de leurs vaches Montbéliardes qui fournissent le meilleur lait de Comté ; c’est l’histoire de Ludivine qui préserve ses prairies humides de Vendée pour le plus grand bonheur d’une avifaune unique en France ; c’est l’histoire de Matthieu le berger des Hautes Corbières qui accueille les vautours au cœur de sa ferme...

C’est l’histoire de ces femmes et de ces hommes qui ont décidé, une bonne fois pour toute, de tourner la page d’une agriculture conventionnelle aux pratiques destructrices et appauvrissantes pour partager leur territoire et leur histoire non plus seulement avec les animaux dont ils ont la maîtrise et la responsabilité mais aussi avec toute cette vie sauvage foisonnante qui, si on lui en laisse l’opportunité, peut être source de nombreux bénéfices. Et tous de s’émerveiller devant l’exubérance de la vie sauvage revenue là où des générations de prédécesseurs se sont épuisés à la repousser et à la détruire. En accueillant la faune et la flore sauvages sur leurs fermes, ces nouveaux paysans inversent la tendance actuelle de la biodiversité française à disparaître, une érosion qui touche essentiellement la biodiversité champêtre. Ces précurseurs militent également pour la préservation de la biodiversité domestique ; ces races peu connues, souvent très belles, expriment elles-aussi la diversité incroyable des terroirs de France. Ils démontrent ainsi que l’on peut être à la fois amoureux de la nature sauvage et de la nature domestique. En associant faune sauvage et espèces domestiques, l'homme se positionne à nouveau dans un triptyque originel et, pour notre plus grand bonheur, provoque des interactions surprenantes, drôles et parfois spectaculaires.

A travers ces nouvelles pratiques agricoles convergent les luttes sociales et environnementales. L'enthousiasme communicatif de ces hommes et de ces femmes change radicalement notre regard sur nos campagnes soi-disant sinistrées et indique, preuves à l’appui, qu’un autre monde est possible.