A l’occasion de la Journée internationale des forêts, dimanche, le botaniste Francis Hallé dénonce, dans une tribune au « Monde », la « bienveillance » envers l’abattage et le commerce du bois.
Un fait banal pour commencer : un propriétaire forestier ou un exploitant abat ses arbres ou exploite une parcelle de forêt qui lui appartient, puis il vend son bois à un prix qui dépend de l’essence considérée et qui est fixé par les règles du marché. Il est le seul bénéficiaire de l’opération et cela nous paraît normal, puisque cet homme est propriétaire de la ressource.
Depuis des siècles, les choses se passent ainsi et jamais personne n’a protesté contre la déforestation – à l’exception de quelques philosophes ou de quelques poètes : Ronsard, Hugo ou Giono. Cette relative bienveillance envers les abattages et le commerce du bois se justifiait par le fait que, jusqu’à une époque récente, ces activités étaient artisanales et que leurs conséquences restaient discrètes, voire imperceptibles.
Mais les temps ont changé, les abattages se sont industrialisés et les contraintes écologiques de notre époque amènent à questionner un processus d’exploitation qui fonctionnait bien dans le passé, mais qui paraît maintenant trop simple ; car s’il y a un bénéficiaire, il y a aussi des perdants.
Des perdants ? Qui sont-ils ? Nous tous, car les arbres abattus représentaient un patrimoine qui nous garantissait un environnement viable, et même agréable ; ces arbres absorbaient le CO2 qui réchauffait l’atmosphère, ils fixaient le carbone atmosphérique, ils nous fournissaient de l’oxygène, agrémentaient nos paysages, inspiraient les peintres et les poètes, régulaient le débit des eaux, amélioraient la fertilité des sols et les protégeaient contre l’érosion ; en outre, ils avaient une influence bénéfique sur notre santé physique et mentale, tout en favorisant le développement et le maintien d’une diversité biologique dont nous savons maintenant qu’elle est vitale pour l’espèce humaine.
A notre époque, n’est-il pas devenu anormal, voire insupportable, que l’industrie du bois tue et détruise des êtres vivants sans tenir aucun compte des services qu’ils nous rendaient ?
Nous devons prendre conscience que le fonctionnement de cette industrie repose sur une comptabilité fallacieuse puisque, dès lors que la nature est détruite, nous cessons de bénéficier de tous les services qu’elle assurait gratuitement, sans que nous recevions quoi que ce soit en échange, et sans qu’aucune disposition juridique ou financière ne garantisse que les dommages écologiques seront compensés par ceux qui en sont les responsables.
Le bois doit rester à un prix abordable
Les responsables, qui sont-ils ? Ceux qui décident de l’élagage drastique ou de l’abattage des arbres urbains, des arbres le long des routes, des « arbres en campagne », ou encore de ceux des haies dans le cadre du remembrement.
A une échelle beaucoup plus vaste, ce sont aussi les industriels forestiers travaillant à produire du bois, de la pâte à papier, ou de la biomasse destinée à fournir de l’énergie ; il est évidemment souhaitable qu’ils compensent les dégâts écologiques dont ils sont la cause, mais des négociations particulières sont à prévoir, compte tenu de l’échelle de ces industries.
Nous aurons toujours besoin de bois et diverses tendances actuelles laissent à penser que nos besoins augmenteront encore dans l’avenir. La nécessité de la compensation écologique rend légitime de soulever le problème d’une éventuelle augmentation du prix du bois, toutefois il ne faudrait pas que ce dernier devienne un produit de luxe et il doit donc conserver un prix abordable.
Quatre propositions
A titre de simple tentative, j’ai quatre propositions qui ne constituent à mes yeux qu’une base de discussion ; elles auraient le mérite de respecter le pouvoir d’achat des consommateurs tout en assurant la compensation des dommages écologiques par ceux qui les ont causés : cesser d’exploiter les forêts naturelles, devenues trop rares, et les laisser se développer « en libre évolution » ; ne nous fournir en bois que dans des plantations monospécifiques, devenues majoritaires, et qui ont d’ailleurs été établies à cette fin ; ne pas augmenter le prix du bois ; mettre en œuvre des dispositions juridiques visant à obtenir des exploitants forestiers, et de tous ceux qui coupent des arbres, qu’ils compensent localement les dommages écologiques qu’ils ont eux-mêmes causés.
Cette quatrième proposition pourrait être remplacée par la création d’une taxe locale, en veillant à ce qu’elle soit réellement utilisée localement pour compenser les dommages constatés, et en veillant aussi à ce qu’elle ne soit pas subrepticement intégrée au prix de vente du bois, ce qui la rendrait inutile.
L’idée de compensation des dégâts écologiques n’est pas nouvelle : l’agriculture, celle du maïs dans la vallée de la Garonne, par exemple, s’est déjà confrontée à ce genre de demandes et de contraintes. En ce qui concerne les arbres et les forêts, il semble que ce soit une idée neuve et, c’est une certitude, elle ne s’est pas encore concrétisée. C’est dans l’espoir de faire progresser cette idée que je souhaite la diffuser dans le public, à l’occasion de la Journée internationale des forêts.
Francis Hallé est biologiste et botaniste, spécialiste des arbres. Il a participé à la création des expéditions du Radeau des cimes, qui ont exploré la canopée des forêts tropicales. Il est l’auteur de nombreux ouvrages, dont « Plaidoyer pour l’arbre » (Actes Sud, 2005).