Située dans l’Est de la Pologne entre Varsovie et la frontière de Biélorussie, la forêt de Bialowieza est hautement symbolique car elle est la dernière forêt primaire de plaine en Europe ; elle réunit la flore et la faune caractéristiques des forêts qui couvraient le continent européen avant que les êtres humains ne s’y installent. La Pologne ne faisait pas encore partie de l’Europe lorsqu’en 1977 l’UNESCO élève Białowieża au rang de réserve de biosphère, qui était déjà un parc national depuis 1921 et, en 1979, toute la forêt entre au Patrimoine de l’Humanité. En 2004, la Pologne rejoint l’Union Européenne.
Hélas, Bialowieza est actuellement menacée dans son existence même et c’est ce qui justifie ma protestation.
Je regrette de devoir le dire, mais le manque de sensibilité écologique du gouvernement polonais est notoire ; quelques mots d’histoire suffiront à convaincre ceux qui en douteraient.
Depuis 2015, le parti ultraconservateur Droit et Justice (PiS) est au pouvoir en Pologne ; dés 2016, l’Administration Forestière est autorisée à pratiquer des coupes importantes en forêt de Bialowieza, sous prétexte d’une attaque de scolytes de l’épicea ; cette Administration s’oppose dès lors aux scientifiques polonais, à la population locale, à l’UNESCO, à l’UICN et à l’Union Européenne.
En 2017, la cour de Justice de l’Union Européenne parvient à mettre un terme à ces coupes en infligeant au gouvernement polonais une astreinte de 100.000 euros par jour d’exploitation.
Mais Andrzej Duda et son gouvernement ne se laissent nullement convaincre et refusent d’abandonner leurs objectifs d’extrême droite anti-écologie ; une route destinée au passage de lourds engins forestiers est ouverte le long de la forêt de Bialowieza.
Une très mauvaise nouvelle vient de nous parvenir en Europe de l’Ouest : le 9 mars 2021, le Vice-ministre du climat et de l’Environnement autorise l’Administration Forestière à pratiquer de nouvelles coupes. Marque particulièrement ostentatoire de cynisme, l’accord est signé dans les locaux du parc national de Bialowieza.
Il importe de regarder en face, de façon plus générale, le conflit idéologique qui oppose au reste de l’Europe le gouvernement ultra-conservateur polonais : il refuse de conditionner les aides financières au respect de l’état de droit, il refuse l’indépendance de la justice et l’indépendance de la presse, il refuse l’égalité des sexes, le droit à l’avortement et le respect de l’orientation sexuelle. La Pologne actuelle oublie l’idée même de démocratie en ouvrant à l’exploitation sa forêt primaire alors que, selon un sondage Kantar Public pour Greenpeace Poland, 84 % des Polonais demandent l’extension du parc national à toute la surface de la forêt de Bialowieza. Nous devons leur faire savoir que nous sommes de leur côté et que nous ne les abandonnerons pas face à l’adversité.
Pour ma part, je préside une Association de droit français qui s’est donné pour objectif de favoriser la renaissance d’une grande forêt primaire de plaine en Europe de l’Ouest ; avec tous les membres de cette Association, je partage la conviction que la forêt primaire est le meilleur dispositif connu pour combattre à la fois les dérèglements du climat, la paupérisation des sols et l’érosion de la diversité biologique. Quel sens aura le projet que je porte, quel sens auront les plans climat, les plans forêt ou encore le Green New Deal de l’Union Européenne si, laissant se développer l’obscurantisme, nous ne sommes pas capables de protéger la dernière forêt primaire de plaine que porte notre continent ?
Mon attachement ancien et profond aux forêts primaires m’amène à demander à l’Union Européenne qu’elle fasse au gouvernement polonais, après ses mises en demeure du mois de février dernier, une réponse sévère, vigoureuse et rapide, faute de quoi l’Europe n’aura plus que des forêts secondaires, c’est-à-dire des forêts basses, déstructurées et à la biodiversité amoindrie, contrairement à beaucoup d’autres pays de mêmes latitudes comme les USA, le Canada, la Russie, le Chili, l’Australie ou la Nouvelle Zélande. Pourquoi l’Europe n’aurait-elle pas droit à l’optimum biologique et esthétique que représente la forêt primaire ?
Francis Hallé Montpellier, le 25 mars 2021