L’objectif est que les responsables de graves atteintes à l’environnement puissent être poursuivis par la Cour pénale internationale.
Forages pétroliers, déforestation, exploitation minière, surpêche… Les dirigeants d’entreprises, les responsables politiques voire les chefs d’Etats à l’origine de la destruction massive d’écosystèmes pourraient-ils un jour devoir rendre des comptes à la Cour pénale internationale (CPI) ? C’est en tout cas pour atteindre cet objectif qu’un groupe international d’experts de renom, spécialisés en droit pénal international, en droit de l’environnement et droits humains, a planché six mois durant, à la demande de la Fondation néerlandaise Stop Ecocide. Puisant dans des textes philosophiques, religieux, de loi, et dans la jurisprudence internationale, il s’est accordé sur une définition juridique internationale du crime d’écocide.
Elaborée à l’attention des Etats parties au statut de Rome – document qui définit les crimes internationaux sur lesquels la CPI a un pouvoir juridictionnel –, cette définition doit leur permettre de proposer un amendement visant à modifier le statut de la juridiction de La Haye, et de criminaliser l’écocide au même titre que le génocide, les crimes contre l’humanité, les crimes de guerre et les crimes d’agression.
L’écocide consiste en des « actes illégaux ou arbitraires commis en sachant la réelle probabilité que ces actes causent à l’environnement des dommages graves qui soient étendus ou durables », ont expliqué, mardi 22 juin, les coprésidents du panel de 12 membres, le professeur de droit et avocat franco-britannique Philippe Sands – habitué des litiges devant la Cour internationale de justice et le Tribunal international du droit de la mer – et la sénégalaise Dior Fall Sow, juriste et ancienne procureure de l’ONU.
Cette définition expose les conséquences de ce crime écologique, sans en donner d’exemples précis, de manière à pouvoir englober des dommages qui n’existent pas encore forcément. Elle est « à la fois efficace par rapport à la crise climatique en cours et acceptable juridiquement par les Etats »,estime la juriste française Valérie Cabanes, qui a participé aux travaux.
« Un véritable élan »
La notion d’écocide a vu le jour au début des années 1970 après l’utilisation massive au Vietnam par l’armée américaine de l’agent orange, défoliant chimique qui a ravagé les forêts vietnamiennes et décimé les populations locales. Le premier ministre suédois Olof Palme a usé de ce terme lors du Sommet de la Terre à Stockholm en 1972, mais il est très largement entré dans le débat public ces dernières années. Notamment en 2019, lorsque deux nations insulaires, le Vanuatu (Pacifique) et les Maldives (océan Indien), respectivement menacées par la montée du niveau de l’océan Pacifique et celle de l’océan Indien, ont réclamé une « prise en compte sérieuse »du crime d’écocide.
« La réflexion sur l’écocide a commencé il y a cinquante ans mais, depuis trois ans, il y a un véritable élan », explique Jojo Mehta, présidente et cofondatrice en 2017 de Stop Ecocide, à l’initiative des travaux du panel qui comprenait notamment un ancien juge samoan de la CPI. « Le rapport spécial du GIEC, en 2019, a réveillé beaucoup de gens et suscité de nombreuses mobilisations liées au climat, poursuit-elle. Les grèves scolaires de Greta Thunberg en ont entraîné d’autres dans le monde entier, le mouvement international Extinction Rebellion est né au Royaume-Uni en 2018, tout cela a ouvert une fenêtre de dialogue mondial sur les plans médiatique et politique. La question de l’écocide, qui passait auparavant pour extrême, est aujourd’hui accueillie avec intérêt parce que les gens en sont informés et en font l’expérience au plus près de chez eux. »
Il faut maintenant qu’un des 123 Etats parties au statut de Rome qui régit la CPI propose cet amendement. Cette première étape ne devrait guère poser problème puisque, depuis fin 2019, huit d’entre eux – le Vanuatu, les Maldives, la France, la Belgique, la Finlande, l’Espagne, le Canada et le Luxembourg – ont publiquement exprimé leur intérêt pour la possibilité d’amender ce document.
Une majorité de l’assemblée générale des Etats parties, qui se tient traditionnellement en fin d’année, devra ensuite accepter l’examen de l’amendement. Puis une majorité des deux tiers [soit 82] des Etats parties – qui disposent chacun d’une voix – devra voter l’adoption cette loi. Chaque Etat partie pourra enfin ratifier la nouvelle loi et devra la faire appliquer sur son propre territoire dans un délai d’un an. Cette disposition permet d’interpeller sur son sol tout citoyen étranger soupçonné d’un acte d’écocide commis ailleurs, élargissant ainsi sa portée aux Etats-Unis, à la Chine et à d’autres Etats non membres, potentiellement grands pollueurs.
Cinq ans pour mettre la loi en pratique
Consciente que cette pénalisation – qui introduit la notion de responsabilité personnelle – ne sera pas « suffisante » pour faire cesser les dommages à l’environnement, Jojo Mehta la juge cependant « nécessaire » et même susceptible d’amorcer un changement de mentalité et de rétablir un équilibre.
« Savoir sa liberté personnelle menacée est très dissuasif pour un décideur, et se voir accolée l’étiquette de criminel international n’est pas une bonne pub, aussi les financiers et les assureurs réfléchiront avant de se lancer et les gouvernements avant de délivrer des permis », veut-elle se convaincre.
Elle estime que grâce à cette définition de l’écocide pensée par des « experts des plus crédibles », il faudrait « cinq ans » pour mettre en pratique cette loi dont l’adoption nécessite de solides soutiens diplomatiques et politiques. Le travail de persuasion auprès des Etats concernés ne fait que commencer.