Alors que la COP15 sur la diversité biologique aura lieu en 2022, une nouvelle version du projet de cadre mondial a été publiée.
Les « X », les « Y », et autres blancs ont disparu pour être remplacés par des chiffres. La Convention des Nations unies sur la diversité biologique (CDB) a publié, lundi 12 juillet, une nouvelle version, plus détaillée et plus précise, du projet de cadre mondial qui doit être adopté lors la 15e Conférence des parties (COP15) à Kunming, en Chine. Ce document, en cours de négociation, établit une série de grands principes qui doivent permettre d’enrayer la destruction du vivant au cours de la prochaine décennie.
Prévue à l’automne, la COP15 devrait finalement être reportée à 2022. Mais malgré le retard provoqué par la pandémie, le processus de discussion se poursuit et de nombreuses réunions virtuelles ont eu lieu depuis la publication de la première ébauche de texte en janvier 2020. C’est à partir de ces sessions de travail et de quelque 2 000 contributions reçues des différentes parties que les deux coprésidents du groupe de la CDB consacré aux négociations du cadre post-2020 ont rédigé cette nouvelle version. « Lorsque nous avons pu trouver des données scientifiques, nous avons indiqué des cibles chiffrées, explique Francis Ogwal, l’un des deux coprésidents. Mais même quand il n’y a pas de donnée numérique, les cibles sont mesurables et précises. » « Nous n’avons pas essayé de trouver la vérité ultime, mais nous espérons, avec ce document, générer de bonnes discussions qui feront avancer le groupe sur le chemin de Kunming », complète Basile van Havre, son homologue.
Le projet d’accord fixe d’abord quatre grands objectifs pour 2050, portant sur l’amélioration de l’intégrité des écosystèmes, des espèces et de la diversité génétique ; sur la contribution de la nature aux objectifs de développement ; sur le partage des ressources génétiques et enfin, sur l’enjeu du financement. Mais le texte établit surtout 21 cibles précises à atteindre en 2030, qui illustrent l’ampleur et la variété des réformes à mettre en œuvre. Elles visent notamment à s’attaquer aux cinq facteurs majeurs de la perte de biodiversité, tels qu’ils ont été identifiés par la Plateforme intergouvernementale scientifique et politique sur la biodiversité et les services écosystémiques (IPBES) en 2019.
Un objectif ambitieux en matière de pollution
La première de ces pressions est la fragmentation des milieux et des habitats. Pour y répondre, le texte appelle à ce que l’ensemble de la planète fasse l’objet d’une planification spatiale prenant en compte la biodiversité, ainsi qu’à conserver les dernières zones intactes et sauvages, réduites à peau de chagrin. L’objectif de protéger 30 % des terres et des mers – contre 17 % des terres et près de 8 % des mers aujourd’hui – de façon efficace et équitable est réaffirmé. Soixante-cinq Etats et l’Union européenne (UE) ont désormais rejoint la coalition, initiée par la France et le Costa Rica, qui pousse en faveur de cet objectif.
Outre le renforcement des politiques de conservation, le projet d’accord insiste également sur la nécessité de restaurer 20 % des écosystèmes prioritaires. La dégradation des terres a en effet des conséquences majeures, comme la baisse de productivité des zones agricoles ou l’accélération du dérèglement climatique. Le texte affiche par ailleurs un objectif particulièrement ambitieux en matière de pollution, qui risque d’être largement contesté. Il appelle à réduire au moins de moitié les rejets de nutriments – c’est-à-dire essentiellement d’engrais – dans l’environnement, d’au moins deux tiers les rejets de pesticides, et d’éliminer tout rejet de déchets plastiques. En parallèle, toutes les zones d’agriculture, d’aquaculture et de sylviculture doivent être gérées durablement.
Parmi les autres cibles majeures évoquées par ce texte, figure celle des financements, une question qui sera nécessairement au cœur de la conférence mondiale. Le projet de cadre appelle à réduire d’au moins 500 milliards de dollars (421 millions d’euros) par an les subventions néfastes à la biodiversité. Il faut également accroître les ressources financières destinées à la nature pour les porter à au moins 200 milliards de dollars par an – contre environ 150 aujourd’hui – et les flux financiers internationaux vers les pays en développement devront être augmentés d’au moins 10 milliards de dollars par an. Ces chiffrages s’appuient sur de récentes études, dont celles du Paulson Institute ou de l’Organisation de coopération économique et de développement.
« Les ambitions sont chiffrées »
« Ce document présente des améliorations certaines par rapport au texte précédent,estime Aleksandar Rankovic, chercheur à l’Institut du développement durable et des relations internationales. Les ambitions sont chiffrées et représentent un équilibre entre ambition et faisabilité politique. » Li Shuo, spécialiste des politiques environnementales chez Greenpeace Chine, regrette de son côté que l’ensemble du document soit « confus dans sa structure ».« On a une épaisse soupe d’objectifs, dont beaucoup ont des logiques discutables, et toujours un déséquilibre entre ces objectifs et leur mise en œuvre », ajoute-t-il.
Le projet d’accord affirme que les pays auront « la responsabilité de mettre en œuvre des mécanismes de planification, de suivi, d’établissement de rapports et d’examen »,notamment en fixant des objectifs nationaux et en communiquant à leur sujet. « Nous sommes au niveau des grands principes mais c’est déjà beaucoup de dire ça, ça n’existait pas jusqu’à présent », précise Aleksandar Rankovic. D’autres textes, portant notamment sur les aspects opérationnels et qui seront annexés au cadre mondial, doivent être publiés dans les prochains mois.
Dans quelle mesure le cadre mondial qui sera finalement adopté ressemblera-t-il à cette nouvelle version ? Les Etats en débattront lors d’une prochaine séance de discussion en ligne prévue fin août, puis lors d’une, voire deux réunions en présentiel, sans doute début 2022. Car outre les difficultés liées à la situation sanitaire, c’est bien pour donner aux négociateurs l’opportunité de se rencontrer et pour tenter de parvenir à un consensus sur un cadre ambitieux que la COP va être retardée. « Nous sommes arrivés à la limite de ce que nous pouvons faire en ligne en termes de recherche de consensus,explique Basile van Havre. Négocier l’accord de Paris en ligne, ça n’aurait pas marché ! »