Livre. Le botaniste Francis Hallé, spécialiste des arbres et des forêts tropicales, vient de publier un court manifeste dont le titre, Pour une forêt primaire en Europe de l’Ouest, énonce l’ambitieux objectif. C’est sa longue carrière de scientifique, d’enseignant et de pédagogue qui l’a conduit à concevoir un tel projet, dont la réalisation ne devrait pas prendre moins de… sept siècles. Fou en apparence, ce projet vise à (re)créer en Europe une de ces « forêts vierges » dans lesquelles les arbres atteignent naturellement leur plus grande taille, le sol se régénérant de lui-même avec la décomposition de branches ou de troncs tombés à terre.
L’auteur de Plaidoyer pour l’arbre (Actes Sud, 2005) rappelle ici que de telles forêts primaires ont disparu en Europe au milieu du XIXe siècle, à l’exception de la forêt de Bialowieza, en Pologne, hélas menacée par des décisions de l’actuel gouvernement polonais, et cela malgré des rappels à l’ordre pressants de l’Union européenne.
Projet binational
Cet intérêt de Francis Hallé pour les forêts primaires a pris corps lors des expéditions du Radeau des cimes, menées entre 1986 et 2004, afin d’explorer la canopée des forêts tropicales humides. La biodiversité végétale et animale alors découverte a fait l’objet de recensements, auxquels ont pu participer le « jeune » Gilles Clément, célèbre « jardinier » et paysagiste, ou le botaniste Patrick Blanc, le créateur du mur végétal du Musée du quai Branly. Francis Hallé a aussi été impressionné par les formes et les couleurs des plantes et des animaux, par le silence régnant dans les sous-bois ou par les bruits répercutés dans les frondaisons noyées dans la brume. Il voudrait que ce choc esthétique puisse être ressenti par les générations futures.
Le regard du dendrologue s’est affûté dans les jardins botaniques de la planète et en explorant les dernières forêts primaires d’Amérique, d’Afrique ou du Japon. Il est ainsi l’auteur de milliers de dessins alliant la rigueur et la poésie. Et c’est avec une même rigueur qu’il a dessiné les contours d’un projet binational qui doit occuper un territoire de… 70 000 kilomètres carrés, à cheval sur une frontière de l’Hexagone. Pourquoi une telle étendue ? Parce qu’elle est « nécessaire à la vie des grands animaux de la forêt primaire européenne : cerfs et daims, sangliers, lynx et chats sauvages, loups et ours, aurochs et bisons d’Europe »,explique-t-il.
Et pourquoi sur une durée de sept cents ans à mille ans ? Parce que c’est le temps nécessaire – selon que l’on partira de zéro ou d’une forêt existante – pour que les arbres puissent y croître sans retenue, y dépérir et s’y renouveler sur plusieurs générations, sans aucune intervention humaine. L’observation scientifique ne devrait pas y être bannie, ni même d’éventuelles visites. Un projet à (très) long terme, donc, à rebours des quêtes de rentabilité à courte vue d’une certaine industrie forestière, égratignées au passage par un éternel amoureux des arbres et des forêts.