Expansion du braconnage, extension de l’habitat urbain, érosion des terres… la tension est à son comble dans les réserves du Kenya. Comment protéger les animaux sauvages sans léser les habitants ? C’est le casse-tête de l’Etat, qui a tant besoin de l’argent des safaris.
Vingt gazelles de Grant… Dix buffles… Assis à l’avant du petit avion à hélices, les yeux rivés sur la savane qui se déploie en contrebas, le biologiste Steven Daboki dénombre le moindre animal. Soudain, John Munyori, le pilote, interrompt sa ligne de vol. Il vient de repérer des taches sombres parmi les ombres des arbres et les rochers : un troupeau d’éléphants !
L’appareil décrit alors un cercle au-dessus des pachydermes pour laisser à Steven le temps de les photographier. Ses clichés permettront, une fois à terre, de déterminer le nombre d’individus.
Steven et John font en effet partie de l’équipe chargée, en ce mois de juillet, du recensement de la faune dans la région de Laikipia-Samburu, au centre du Kenya.
Neuf jours durant, une dizaine de pilotes, avec chacun deux scientifiques à bord de leur coucou, ont ainsi survolé la moindre portion des 65 000 kilomètres carrés de cet écosystème, comptabilisant chaque spécimen de chaque espèce suffisamment grosse (au minimum, la taille d’une antilope naine dik-dik) pour être vue du ciel.
Pour le Kenya, sauvegarder la nature n’est pas qu’une question de principe : c’est vital pour l’économie. Avant la pandémie, deux millions de voyageurs se pressaient ici chaque année, pour admirer les big five– éléphants, lions, buffles, léopards et rhinocéros – ou pour assister à la migration de gnous et de zèbres.
Selon le Bureau national des statistiques, le tourisme, qui représente 9 % des emplois, a ainsi drainé 1,28 milliard d’euros en 2019 – la deuxième ressource du pays, après les rentrées du port de Mombasa.
Mais la pandémie de Covid-19 a mis l’activité touristique en sommeil, ce qui a entraîné un important manque à gagner. Et surtout pénalisé les budgets consacrés à la protection de l’environnement, à l’heure où les autorités doivent relever de nouveaux défis : modification des écosystèmes due au changement climatique, extension de l’habitat humain, expansion du braconnage et, surtout, exacerbation des conflits entre l’homme et la faune…