En Gironde, «au nom de quoi la chasse traditionnelle, qui existe depuis des siècles, serait interdite ?»

Depuis vendredi, la chasse avec filet ou cage est autorisée, contre l’avis du Conseil d’Etat. Les chasseurs jubilent, les défenseurs des oiseaux s’étranglent et les alouettes meurent.

«On l’attendait ce précieux sésame Jean-Claude Ycard, 67 ans, est tout sourire. Ce chasseur de père en fils, «depuis plusieurs générations», peut à nouveau capturer les alouettes des champs depuis sa cabane, en Gironde. Vendredi, la chasse traditionnelle aux pantes (filet) et à la matole (cage) a été réautorisée pour plusieurs espèces d’oiseaux, a tranché le ministère de la Transition écologique. Contre l’avis du Conseil d’Etat qui avait jugé «illégales», cet été, certaines de ces techniques. La publication des arrêtés a aussitôt provoqué l’indignation des associations de protection des animaux. One Voice et la Ligue de protection des oiseaux (LPO) ont déposé plusieurs référés suspensifs dans la foulée.

En attendant, Jean-Claude Ycard compte bien profiter de «ce répit». Au volant de son 4×4, il est parti sillonner, dès samedi matin, les plaines marécageuses de Carcans, à une cinquantaine de kilomètres au nord-ouest de Bordeaux. C’est ici que le retraité a construit sa cabane, à la lisière de la forêt et tout près du lac d’Hourtin, pour chasser l’alouette. «Ce matin, il y avait pas mal de brouillard. On en verra sans doute très peu», prévient d’emblée le sexagénaire. A peine sorti du véhicule, il glisse un sifflet autour de son cou et dépose une toute petite cage sur un banc en bois. A l’intérieur, une alouette s’agite nerveusement. «C’est une chanteuse” comme on les appelle. Elles nous aident à attirer les oiseaux. Le reste de l’année, elles sont gardées dans de grandes volières», s’empresse-t-il de préciser.

Hypocrisie

Une dizaine de mètres plus loin, le chasseur pointe de grands filets disposés au sol ainsi que quelques leurres en plastique. «Une fois installé dans l’abri, je guette pendant de longues heures l’arrivée des oiseaux. C’est tout le charme de la chasse traditionnelle : l’attente et le jeu de séduction au sifflet dans un cadre idyllique.» Lorsque des alouettes se posent enfin, Jean-Claude Ycard actionne le système bricolé à l’aide de ressorts et de barres. Les filets se soulèvent puis se referment sur les oiseaux ne leur laissant aucune chance. Ils sont piégés. «C’est très rapide. Il arrive que d’autres espèces se retrouvent coincées mais c’est extrêmement rare», assure le Girondin. Pour les faire venir plus vite, le chasseur attache parfois une alouette directement à proximité du piège. Les oiseaux sont ensuite tués par «écrasement des cervicales, le plus rapidement possible pour éviter qu’elles souffrent», promet encore le retraité.

En Gironde, il s’agit de la seule technique utilisée pour la chasse traditionnelle à l’alouette, dont la période s’étale entre le 10 octobre et le 11 novembre. La fédération du département estime qu’ils sont environ 1 millier à la pratiquer, plus ou moins occasionnellement. Quelque 600 installations sont répertoriées dans le département. «Quand j’ai appris cet été que je ne pourrais plus la chasser, j’étais malheureux comme un chien qui a perdu son maître. J’ai commencé à 17 ans alors, plus qu’une passion, j’ai de l’amour pour cette tradition», insiste Jean-Claude Ycard. Le 18 septembre, il était d’ailleurs aux premières loges de la manifestation qui a rassemblé des milliers d’autres chasseurs dans les Landes, pour défendre «les valeurs rurales et l’identité culturelle».

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photo : Une alouette utilisée par Jean-Claude Ycard pour attirer ses congénères, samedi à Carcans (Gironde). (Thibaud Moritz/Libération)