Face au changement climatique dont les effets se concrétisent chaque jour davantage, Michel Aglietta, conseiller au Centre d’études prospectives et d’informations internationales (CEPII), appelle à la mise en place urgente d’une écologie politique, qui consiste à intégrer les critères de soutenabilité dans les politiques budgétaires et monétaires, la régulation de la finance ou encore la gouvernance des entreprises. Il en détaille les enjeux en répondant aux questions d’Isabelle Bensidoun, économiste et adjointe au directeur du CEPII.
Les scénarios publiés par le Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat (GIEC) cet été sont très inquiétants. Existe-t-il encore des voies de sortie ? La récente COP26 a-t-elle débouché sur des avancées majeures ?
Le message dirimant du dernier rapport du GIEC est effectivement que la crise climatique a atteint un seuil critique. Les scientifiques ont été surpris par l’accélération de la survenue des événements extrêmes depuis fin 2019. C’est pourquoi l’éventualité d’un retour au « normal » pré-crise apparaît comme une dangereuse illusion.
Cependant, il est encore possible d’agir pour contenir l’augmentation de la température, par rapport à ce qu’elle était en moyenne entre 1850 et 1900, à 1,5 degré à l’horizon 2050. Mais il faut agir vite, pour être en mesure de ramener les émissions nettes de gaz à effet de serre (GES) à zéro en 2050.
À cet égard, la COP26 a fait des avancées, avec l’accord sur la suppression du méthane carboné, qui doit être remplacé par la production d’un méthane vert par électrolyse, et celui sur la reforestation et l’afforestation, limitant ainsi l’artificialisation des sols. Mais cela est loin d’être suffisant.
Pour tenir l’objectif d’émissions nettes de GES nulles en 2050, il faudrait parvenir à une avancée généralisée de l’électricité dans les usages de l’énergie et promouvoir l’hydrogène vert là où la décarbonation ne peut passer par l’électricité. Il faudrait également développer différentes techniques de capture et de stockage du carbone pour compenser une décarbonation incomplète.
Il s’agit donc de réorientations drastiques qui devront, en outre, être complétées par une mutation des modes de consommation vers la sobriété dans les pays riches, par des choix techniques qui ménagent l’environnement et les ressources, et par une aide financière conséquente aux pays en développement vulnérables.
Il faudrait, enfin et surtout, que l’instrument clé pour piloter la décarbonation, la hausse progressive du prix du carbone et son application à toute l’industrie, aux bâtiments et aux transports soit agréé à l’échelle planétaire. Ensuite, les recettes fiscales, que cette taxation du carbone permettrait, devront être transférées vers les populations vulnérables à l’intérieur des nations et des pays riches vers les pays pauvres au niveau international, pour éviter à ces derniers d’être piégés pour des décennies dans des structures productives à haute intensité carbone, ce qui les empêcherait de répondre à l’urgence climatique. Car le climat est, par essence, une préoccupation globale.
Est-ce que cela implique une transformation radicale de nos sociétés ?
Parvenir à un monde à 1,5 °C de réchauffement implique un coût de transition considérable, car il requiert un changement substantiel d’attitude des gouvernements à l’égard du lobby du carbone.
Un article paru dans la revue scientifique Nature en septembre 2021, évalue que 60 % des réserves de pétrole et de gaz, 90 % de celles de charbon devront être échouées d’ici 2050, c’est-à-dire qu’elles devront rester dans le sol, et pour toujours.
Cela veut dire que la production de pétrole et de gaz devra baisser chaque année de 3 % et celle de charbon de 7 % jusqu’à 2050. Or, en l’absence d’une tarification du carbone, aucun pays producteur de pétrole et de gaz n’a annoncé d’objectif de réduction de sa production.
Tant qu’une hausse substantielle et durable du prix du carbone n’aura pas été décidée, il ne sera pas possible de parvenir à une écologie politique qui consisterait à intégrer les considérations de soutenabilité dans la régulation de la finance et dans la gouvernance des entreprises, et à incorporer l’objectif climatique de zéro émission nette dans les politiques budgétaires et monétaires.
Cette transformation radicale réclame également que les gouvernements retrouvent le sens de la planification stratégique pour donner un cap de long terme aux entreprises privées de tous les secteurs et gagner la confiance des citoyens, pour qu’ils s’engagent dans la transformation des modes de vie…
Suite et plus dans The Conversation/14 novembre : ICI.
photo : Les scénarios les plus optimistes impliquent désormais que les émissions nettes de gaz à effet de serre soient négatives dans la seconde moitié du siècle. Nelson Almeida / AFP