Le bel objectif de stopper la déforestation à l’échelle de la planète n’est pas réalisable sans de nouvelles législations et des investissements massifs, notamment pour des millions de paysans pauvres.
La presse a largement évoqué le fait qu’à New York, en 2014, de nombreux pays (et de grandes firmes agroalimentaires) s’étaient engagés à diviser par deux la déforestation en 2020 (raté…) et d’y mettre fin en 2030. Est-il vraiment réaliste de penser pouvoir arrêter la déforestation mondiale en 2030, au risque de devoir soupirer «encore raté…» dans huit ans ?
Il s’agit d’un objectif d’arrêt de la déforestation nette
D’abord, ce qui ne semble pas avoir été noté par la presse, c’est qu’il s’agit d’un objectif d’arrêt de la déforestation nette, et non de la déforestation brute. Avec un objectif de déforestation nette, un pays peut continuer à perdre des forêts naturelles et compenser les surfaces perdues par des plantations d’arbres. La plupart du temps, ce sont des arbres à croissance rapide, utiles, mais peu favorables à la biodiversité et qui peuvent poser des problèmes pour la disponibilité des ressources en eau.
Donc la conversion d’écosystèmes naturels en espaces artificialisés. Nul doute que cette nuance permettra à certains pays de se prévaloir d’un objectif atteint ou tout au moins de s’approcher de celui-ci. Mais surtout, l’idée qu’un pays pourrait décider d’arrêter la déforestation comme il pourrait décider de fermer des centrales à charbon est une illusion.
Une bonne partie de la déforestation, notamment dans les pays les plus pauvres et les Etats fragiles, échappe à la maîtrise des gouvernements. En particulier en Afrique, où la grande majorité de la déforestation est liée à une petite agriculture familiale et à la fabrication de charbon de bois, dans un contexte d’incertitude des droits fonciers et de fort accroissement démographique.
Des politiques publiques visant à faire évoluer profondément les pratiques des exploitants familiaux, à développer des alternatives à l’usage massif du charbon de bois, à clarifier et sécuriser les droits fonciers (en particulier des communautés et des groupes familiaux), à mettre en place des règles d’aménagement et d’utilisation des terres, et à accélérer la transition démographique (par la scolarisation prolongée des filles) doivent être développées, financées et mises en œuvre.
Un plafond initial de déforestation de 667 867 ha à ne pas dépasser
Bien sûr, la lutte contre la corruption afin d’avancer vers un Etat de droit conditionne en grande partie le succès de ces politiques. Mais qui peut penser que de tels changements pourront être réalisés en moins d’une dizaine d’années afin de parvenir à un arrêt total de la déforestation en 2030 ?
Déjà, l’Indonésie, pourtant signataire de la déclaration de Glasgow, a annoncé, par la voix du vice-ministre des Affaires étrangères, que l’engagement de mettre fin à la déforestation était «faux et trompeur»,soulignant que le communiqué sur cet accord avait été diffusé avant la fin des discussions.
La ministre de l’Environnement, qui a participé aux discussions au Royaume-Uni, a indiqué que les objectifs environnementaux ne pouvaient pas entraver le développement économique de son pays : «Forcer l’Indonésie à atteindre zéro déforestation en 2030 est clairement inadéquat et injuste.»
Et dans l’accord de la coalition Cafi (initiative pour les forêts d’Afrique centrale, financée majoritairement par la Norvège) avec la RDC (jusqu’à 500 millions de dollars possibles sur la période 2021-2031), il est question d’un plafond initial de déforestation de 667 867 ha à ne pas dépasser, et d’une baisse progressive de ce plafond tous les deux ans. Mais il n’est pas question de zéro déforestation (même nette) en 2030.
Deux objectifs plus réalistes auraient pu être proposés
L’un des problèmes de ces processus (dont REDD +, réduction des émissions dues à la déforestation et à la dégradation forestière) est qu’il est implicitement suggéré que les Etats, quelles que soient leurs capacités, peuvent décider d’arrêter la déforestation, laissant de côté les énormes difficultés de mise en œuvre cohérente de politiques publiques efficaces qui, bien souvent, n’existent pas encore.
Avec cet objectif, intenable, d’un arrêt total de la déforestation en 2030, on entre dans une logique performative («dire, c’est faire») qui ne peut aboutir qu’à une déception généralisée, décrédibilisant encore un peu plus la parole des dirigeants mondiaux et ces conférences internationales.
Deux objectifs plus réalistes, car décidables par les Etats, auraient pu, a minima, être proposés :
Pour les pays en développement, l’engagement de renoncer à toute déforestation brute légale et planifiée. Trop de pays continuent à attribuer de vastes zones forestières (supposément «dégradées») à des investisseurs agricoles. Ceci conduira inévitablement à une discussion sur les critères de définition des forêts (quel seuil de couvert forestier ? Après quelle date accepter la prescription de la déforestation ?), discussion qui doit de toute manière être ouverte.
Pour les pays développés, un engagement de tous à élaborer et à adopter, avant 2025 (par exemple), des législations visant à lutter contre la déforestation importée dans les produits agricoles et forestiers.
Ils ne l’ont pas été. Les négociateurs ont préféré annoncer un objectif qui frappe l’opinion publique, mais qui engendre la confusion sur ce qui est véritablement à la portée des Etats et ce qui est, aujourd’hui, hors de leur portée.
L’arrêt de la déforestation ne sera pas possible sans investissement massif dans la construction d’alternatives aux pratiques agraires de millions de paysans pauvres. Ceci est nécessaire, tant pour arrêter la destruction du couvert forestier que pour sortir ces paysans de la pauvreté et assurer la sécurité alimentaire des pays concernés.