Simon Charbonneau, professeur honoraire de droit de l’environnement, estime, dans une tribune au « Monde », que le récent accident de chasse, qui a conduit à l’abattage d’une ourse et aux graves blessures d’un chasseur, est le résultat d’une vaste méconnaissance de la nature, idéalisée ou diabolisée.
Une ourse accompagnée d’oursons a été tuée le 20 novembre en Ariège, dans les Pyrénées, au cours d’une partie de chasse, après avoir agressé et blessé un chasseur. Cet accident mérite quelques commentaires, d’autant plus qu’il a eu lieu dans une zone interdite à la chasse ! Il faut dire que ce n’est pas la première fois que ce genre d’incident se produit dans les Pyrénées où règne un contexte très conflictuel entre éleveurs et associations de protection de la nature.
En effet, depuis que l’ours brun a été classé espèce protégée en raison de la chute des populations après la guerre, de multiples incidents ont eu lieu à cause de l’hostilité locale des bergers et des chasseurs. Le dernier a eu lieu en 2004 lorsque l’ourse Canelle a été tuée également par un chasseur, toujours au cours d’une partie de chasse au sanglier ; il s’agissait malheureusement de la dernière femelle accompagnée d’un ourson descendant de la souche pyrénéenne !
Cela explique d’ailleurs pourquoi, dés les années 1980, le ministère de l’environnement avait envisagé la réintroduction d’ours provenant de Slovénie, qui se sont multipliés du côté du versant français, alors que du côté espagnol subsiste la souche autochtone en raison d’une moindre pression pastorale.
C’est ainsi que les Pyrénées ont commencé à être repeuplées par des ours bruns considérés comme de grands prédateurs alors qu’une partie de la population y est hostile, ce qui explique les difficultés actuelles du ministère de l’environnement pour conforter les populations existantes qu’il estime insuffisantes, malgré l’importance de l’élevage ovin pyrénéen producteur d’un excellent fromage de brebis.
Dimension anthropologique
Or il existe un vieil atavisme local à l’égard de l’ours dans la partie française des Pyrénées qui remonte à l’époque où les populations d’ours étaient nombreuses, et où les éleveurs devaient s’en protéger grâce à présence de « pastous », chiens de défense contre les grands prédateurs, quitte à faire des battues contre certains ours amateurs de brebis. Il y avait alors des populations montagnardes habituées à la présence de cet animal sauvage. Entre-temps, la société a changé et avec elle la quasi-disparition des ours à laquelle les éleveurs se sont habitués.
De là aujourd’hui, les réactions d’éleveurs hostiles à la politique de réintroduction des ours dans les Pyrénées et même parfois favorables à une éradication de l’espèce.
Il y a dans cette affaire, par-delà ses aspects locaux, la dimension anthropologique d’un conflit de société que l’on peut trouver un peu partout ailleurs dans le monde où subsistent encore des sociétés traditionnelles vivant de l’élevage qui se demandent comment coexister avec des grands prédateurs, sans y parvenir tout à fait. Cela a encore lieu, semble-t-il, en Europe occidentale dans certains pays comme l’Italie et l’Espagne pour les loups.
Mais ce cas de figure concerne aussi les conflits liés à la pratique de la chasse dans nos sociétés urbanisées complètement déconnectées de la réalité de la nature. Il faut dire que, en tous les cas dans les pays les plus développés, a été véhiculée par le cinéma et par les médias en général,auprès du grand public, une image complètement trompeuse de l’animal sauvage, et de la nature.
Ignorance des risques naturels
Pour l’ours, c’est celle du teddy-bear qui grâce à Walt Disney a tellement plu à des générations d’enfants. De là l’image négative de la chasse, dominante aujourd’hui dans l’opinion qui, en France, est malheureusement confortée par la fermeture du monde officiel de la chasse vis-à-vis de la question écologique, une erreur politique majeure préjudiciable à la légitimité de cette passion.
Mais d’une manière générale, cette image fallacieuse concerne la nature et ses dangers. Fasciné par une nature qui lui permet de s’évader d’un monde moderne artificiel et pollué, l’homme du XXIe siècle s’avère ignorant de la réalité de cette dernière. De là, les multiples accidents accompagnant la pratique des sports de nature mais aussi, d’une manière générale, l’ignorance des risques naturels existant dans certaines parties de notre pays, comme l’ont montré les inondations brutales dans la vallée de la Roya (Alpes-Maritimes) ou encore en 2020 avec les incendies cataclysmiques dans plusieurs pays souffrant de la sécheresse.
Qu’il s’agisse des décideurs responsables de l’occupation des sols ou du grand public aliéné par le virtuel diffusé par les écrans, c’est, à vrai dire, la société moderne dans son ensemble qui a oublié la réalité de la nature car elle a cru s’en être émancipée. Une illusion planétaire diffusée par l’idéologie du progrès !
C’est là la vraie cause de la crise écologique majeure que connaît l’humanité aujourd’hui et dont ne semblent pas conscients nos politiques chantres de la « transition » ! C’est pourquoi, si l’on veut continuer à profiter de la présence d’une faune sauvage, il faut en accepter les inconvénients sans tomber dans le piège paradoxal de l’idéalisation ou de la diabolisation.
Simon Charbonneau, Professeur honoraire de droit de l’environnement à l’université de Bordeaux), a présidé l’Association nationale des chasseurs écologiquement responsables
Le Monde, 5 décembre