France Nature Environnement a eu accès à un rapport encore confidentiel remis au ministre de l’Agriculture. Ce rapport dresse un diagnostic complet et un bilan très décevant des 14 dernières années d’actions politiques en matière de réduction de l’usage des pesticides. Il n’a jamais été rendu public et pourtant les auteurs font état de solutions réalistes et rapidement applicables. Trois scénarios sont proposés pour rendre enfin crédible l’action publique en matière de pesticides. A l’occasion de la Semaine pour les alternatives aux pesticides, nous rendons public ce rapport afin que les candidats à la présidentielle puissent se saisir du sujet et que le prochain quinquennat démarre sur de meilleures bases. Un rapport dissimulé par le ministre de l’Agriculture pour masquer ses échecs
En juillet 2020, le ministre de l’Agriculture Julien Denormandie missionne des experts du ministère de l’Agriculture, du ministère de l’Ecologie et d’Inspection Générale des Finances sur l’efficience des fonds publics dédiés à la réduction de l’usage des pesticides. En mars 2021, le rapport est remis mais non rendu public, alors que des recommandations pouvaient être appliquées dès 2021, en particulier celles visant la réorientation des subventions de la politique agricole européenne (9 Milliards d’euros pour l’agriculture française chaque année), politique qui se négociait alors. Après plusieurs demandes et saisine de la Commission d’accès aux documents administratifs, France Nature Environnement a pu se procurer ledit rapport.
“La machine Ecophyto est grippée, il faut davantage accompagner l’agriculture biologique”
Les recommandations du rapport (voir notre tableau synthétique ci-dessous) sont à mettre en parallèle avec les résultats de ces cinq dernières années. “Il est clair qu’après les grandes ambitions et actions intéressantes au début du quinquennat avec les Etats Généraux de l’Alimentation, la loi Alimentation, la mise à jour du plan Ecophyto, les efforts se sont rapidement essoufflés et les renoncements ont été nombreux avec la poursuite de l’utilisation des néonicotinoïdes et du glyphosate et l’échec de la diminution d’usage global des pesticides sensée tendre vers le –50% à 2025”, analyse Thibault Leroux, chargé de mission Agriculture à France Nature Environnement.
Pour Claudine Joly, qui suit le dossier Pesticides à France Nature Environnement : “Le réseau des fermes DEPHY et le développement de l’agriculture biologique démontrent qu’une réduction forte est possible. Il faut aujourd’hui massifier les pratiques économes en les soutenant réglementairement là où cela est nécessaire et financièrement de façon générale tout en pénalisant les mauvaises pratiques. Le rapport mentionne que si 25% de la surface agricole française passait du conventionnel à l’agriculture biologique, près de la moitié de l’objectif de réduction de 50% de l’usage des pesticides serait atteinte. Qu’attend le gouvernement pour conforter cette agriculture alors que l’on voit au contraire disparaître l’aide au maintien de l’agriculture biologique dans la nouvelle PAC ? ”
Le rapport fait ainsi état des 643 millions d’euros mobilisés chaque année par la France (chiffre pour 2019) pour atteindre les objectifs de –50%, alors que l’Etat affiche jusqu’ici un montant annuel de 71 millions d’euros. Malgré ces fortes dépenses, l’usage des pesticides a augmenté de 13% en 10 ans1. Il est encore temps que la France réoriente l’ensemble des fonds publics, y compris ceux de la politique agricole européenne qui sont souvent contre-productifs2, vers une agriculture vertueuse et économe en pesticides de synthèse.
Nous demandons que les candidats se saisissent de l’enjeu d’une réorientation cohérente de l’action publique vers une agriculture plus économe en pesticides. C’est un enjeu fort pour l’alimentation, la biodiversité et la santé publique. Nous sommes encore trop dépendants du modèle productiviste et d’intrants issus de la pétrochimie : nous attendons des candidats des propositions concrètes pour une transition écologique de notre agriculture mais aussi des solutions réelles pour aider les agriculteurs à se tourner vers une production biologique et respectueuse de notre environnement et de notre santé.
Résumé des préconisations du rapport pour bien commencer le quinquennat 2022-2025 :
De la volonté politique et une vision affirmée
· Revoir le pilotage du plan Ecophyto avec une coordination affirmée du délégué interministériel.
· Avoir une stratégie explicite de massification des pratiques économes en mobilisant la conditionnalité de la PAC, et viser une plus grande convergence entre la PAC et le plan Ecophyto de réduction de l’usage des pesticides
· Aligner les autres politiques sur la sortie des pesticides : installation, foncier, projets alimentaires territoriaux.
· Assumer des modèles agricoles à promouvoir et ceux qui doivent être freinés comme les exploitations céréalières sans élevage très dépendantes des intrants de synthèse.
Des incitations et accompagnements financiers à mobiliser davantage
· Renforcer la redevance pour pollutions diffuses. Selon le rapport “Une redevance pour pollutions diffuses fixée au même niveau que la taxation des produits pétroliers – soit 60% du prix final des produits pétroliers – rapporterait près de 1.3Md€”.
· Rémunérer les agriculteurs pour les efforts et prises de risque permettant des réductions effectives de pesticides, notamment via la Politique agricole commune.
· Assumer le déploiement de l’agriculture biologique dont les bénéfices pour l’environnement et la santé sont nombreux et un accès à l’alimentation agriculture biologique à tous.
Une responsabilisation des acteurs
· Avoir un engagement sur l’usage des pesticides contraignant des filières agricoles et des chambres d’agriculture, régulièrement évalué par les autorités publiques.
· Réformer la formation des conseillers agricoles qui délivrent le conseil stratégique et limiter l’usage des pesticides les plus à risques par une délivrance d’une prescription “sur ordonnance” du conseiller agricole. Le certificat d’utilisation de pesticides (Certiphyto) contrôlant peu les acquis des futurs usagers est également à réformer.
· Assurer un suivi transparent, annuel et non partiel sur l’évolution de l’usage des pesticides : site internet avec toutes les informations, déclinaison opérationnelle des indicateurs NODU (Nombre de Doses Unités) au niveau des filières, des petites zones agricoles, de l’exploitation.
· Renforcer les contrôles des agriculteurs et les pénalités des pratiques agricoles en matière de pesticides.
· Durcir les obligations en matière de pesticides dans les labels : label rouge, AOP, IGP, HVE.