Des nuées d’oiseaux migrateurs survolent la France au printemps. Voici cinq lieux où observer ces spectaculaires passages ailés.
Rapaces contre tramontane à Leucate
Le plateau calcaire domine un cordon littoral séparant la mer Méditerranée d’une lagune. Au loin, vers le sud, les Pyrénées. A droite, le début du massif des Corbières. Sur la falaise de Leucate (Aude), le spectacle est paysager autant qu’ornithologique. En 2021, plus de
500 000 oiseaux de 148 espèces diérentes ont survolé ce site de février à mai. Venus d’Espagne, ils luttent contre la tramontane qui les déporte vers la mer et prennent comme repère visuel cette langue de terre qui conduit à la falaise. Linottes, cigognes et grues ouvrent le bal. Puis le « ux des martinets noirs atteint 20 000 individus certaines journées. Les rapaces suivent, comme la bondrée apivore, un oiseau d’un mètre trente d’envergure, par vagues de 10 000. « Le ciel en est rempli ! C’est l’endroit de France où l’on peut en voir le plus en une seule journée », remarque Sébastien Roque, de l’association Med Migration, qui assure les comptages. L’état préoccupant de certaines espèces ne passe pas non plus inaperçu. Les verdiers d’Europe, chardonnerets élégants et alouettes des champs y passent désormais en maigres eectifs, une chute drastique par rapport aux années 1980.
A la pointe de Grave (Gironde), un bal d’hirondelles
A l’extrémité nord du Médoc (Gironde), au-dessus des dunes de la pointe de Grave, il n’est pas rare que le ciel s’emplisse en un jour de dizaines de milliers d’hirondelles et de goélands bruns. D’un côté, l’océan. De l’autre, l’estuaire de la Gironde. Les oiseaux qui longent la côte Atlantique y rencontrent ceux qui passent par les terres mais n’osent pas traverser l’estuaire. A la pointe de Grave, il faut faire le grand saut pour poursuivre sa route. Cet eet d’entonnoir ore un spectacle grandiose jusqu’à « n mai. « C’est ici qu’on observe le mieux ce besoin impérieux d’aller vers le nord », explique Jean-Paul Urcun, de la Ligue de protection des oiseaux Aquitaine. L’association y réalise un suivi depuis plus de trente-cinq ans. Cette longue série d’observations a permis d’élaborer un indicateur d’impact du réchauement climatique sur la migration printanière de quinze espèces de migrateurs transsahariens comme la bondrée apivore ou le balbuzard pêcheur. Pour s’adapter aux nouvelles conditions climatiques, ces oiseaux ont avancé leur voyage d’une semaine depuis 1989. Un changement de taille à l’échelle d’un piaf.
Au col de l’Escrinet (Ardèche), des écharpes de passereaux
Entre Aubenas et Privas (Ardèche), les cyclistes connaissent bien le col de l’Escrinet. Les oiseaux migrateurs aussi. Ceux qui, de février à mai, ne choisissent pas la vallée du Rhône, mais les terres montagneuses pour gagner le nord, ont des chances de le franchir. A
789 mètres d’altitude, entre deux hautes collines, nommées localement Blandine et Suson, ce trou de serrure permet de naviguer d’une vallée à l’autre. « Le passage est si étroit qu’il crée une concentration d’oiseaux, on peut même observer de très près les passereaux malgré leur petite taille », explique Louis Félix qui coordonne le suivi pour la LPO. Ainsi, quelque
100 000 pinsons des arbres, aux ailes barrées de blanc, passent en écharpes de plusieurs milliers d’individus, auxquels se mêlent parfois mésanges bleues et chardonnerets élégants. Suivent les pipits farlouses, bergeronnettes grises, étourneaux sansonnets, tarins des Aulnes et linottes mélodieuses. Et quand le vent du nord soue, les forçant à raser les mottes, c’est à quelques cheveux des humains que passent les oiseaux.
Au cap Gris-Nez (Pas-de-Calais), tiens bon la barre
Du haut du promontoire rocheux du cap Gris-Nez (Pas-de-Calais), on pourrait presque toucher l’Angleterre. Le port de Douvres siège de l’autre côté de la Manche, à 34 kilomètres de là. Les oiseaux marins qui ambitionnent de gagner la Scandinavie pour se reproduire, sans passer au-dessus des terres, doivent donc s’engourer dans ce goulot du détroit du Pas-de-Calais et choisir leur camp : longer la côte anglaise ou la côte française. Une aubaine pour observer le plongeon arctique, au plumage nuptial noir strié de blanc, ou les bernaches cravants qui « lent vers la Sibérie. Jusqu’à quand pourra-t-on contempler un vol de macreuses noires ? La comparaison des observations eectuées par une poignée de bénévoles passionnés avec celles des années 1960 sur le passage de ce canard marin au cap Gris-Nez montre un eondrement de la migration depuis et vers la Baltique, un « hotspot » du changement climatique. La macreuse a d’ailleurs été retenue par l’Observatoire national sur les eets du réchauement climatique comme indicateur pour le suivi des conséquences de la hausse globale des températures.
Aux dunes de Prunete (Haute-Corse), le voyage oriental
Quelques dizaines de milliers de pinsons, une cinquantaine de milliers de pigeons et une bonne centaine de busards. Comme lors de cette faste journée de mars, il y a des moments de grâce aux dunes de Prunete (Haute-Corse) ! Ce cordon dunaire sépare la mer Tyrrhénienne d’une plaine herbeuse, à cinq kilomètres de la chaîne de montagnes. C’est par cet étroit passage que s’engourent les oiseaux qui veulent se rendre dans l’est de l’Europe en remontant d’Afrique par la Sardaigne avant de bifurquer vers l’Italie. Ici, donc, les oiseaux
« orientaux », rares sur les sites d’observation continentaux, sont les stars. Comme les busards pâles aux ailes gris cendré, à la pointe trempée de noir, ou les faucons kobez, portant culotte rouge sous un plumage bleu nuit. « Il arrive même qu’ils se suivent en « le indienne dans les airs », souligne Jade Florent qui coordonne le suivi sous le pilotage du Conservatoire d’espaces naturels de Corse. En 2020, c’est une caravelle de 1 000 busards qui a dé »lé en une seule journée sous les yeux étourdis des ornithologues.
Le Monde/Cécile Cazenave, 17-18 avril