La scientifique de l’Ifremer Marjolaine Matabos anime le programme de sciences participatives « Espion des grands fonds » pour lequel les internautes sont sollicités afin d’annoter des images prises à grandes profondeurs, près de sources hydrothermales. Présentation.
Vous voulez partir à la pêche sans faire de mal aux poissons ? Voici le programme de sciences participatives qu’il vous faut. Le principe : annoter des images prises par des caméras placées au fond des océans, pour dire quelles espèces animales sont visibles sur les clichés. « Espion des grands fonds » est un « jeu sérieux » accessible librement en ligne, et il peut se jouer sur portable. Sa créatrice et responsable, Marjolaine Matabos, est chercheuse au centre Bretagne d’Ifremer, spécialisée en écologie marine en environnement profond. Elle a lancé en 2017 cet « Espion… » qui consiste à regarder les images enregistrées par des observatoires sous-marins sur deux sites, l’un au fond de l’océan Atlantique, l’autre au fond du Pacifique. Le premier, géré par le CNRS et l’Ifremer, est situé à 1700 mètres de profondeur au large des Açores sur la dorsale médio-Atlantique, un relief sous-marin qui se situe grosso-modo au milieu de l’Atlantique ; le second est placé sur la dorsale Juan de Fuca à 2200 mètres de profondeur.
Ni bouche ni anus
Les sous-marins, tels que le Nautile de l’Ifremer, sont nécessaires pour aller en grande profondeur afin d’avoir accès à ces observatoires, tout particulièrement à leurs caméras, notamment dans le cadre de leur maintenance. Marjolaine Matabos a ainsi réalisé nombre de plongées qu’elle a l’occasion de raconter aux écoliers, collégiens et lycéens auxquels elle va régulièrement présenter « Espion des grands fonds ». Des échanges toujours stimulants où émergent les idées les plus originales. « Rien n’est impossible avec les enfants », souligne la scientifique, qui se souvient du jour où on lui a proposé d’échantillonner les poissons avec un filet à papillon.
Mais il est inutile de mouiller la chemise pour jouer à « Espion des grands fonds », c’est bien sur les images que se fait la chasse aux habitants des profondeurs. Avertissement : il faut avoir de la suite dans les idées pour jouer à ce jeu-là. Car les caméras ne bougent pas beaucoup, l’idée étant de procéder à l’observation du même angle de vue sur une échelle « pluriannuelle voire tout au long d’une décennie » explique la chercheuse de l’Ifremer. Et puis les moules ne galopent pas ! Il n’en reste pas moins que les surprises sont au rendez-vous, tout un écosystème étant révélé par les caméras braquées sur les sources hydrothermales. Différents animaux vivent en effet à proximité de ces points de chaleur, en s’en rapprochant jusqu’à 30 centimètres environ, guère plus : « Pensez à un brasero auquel on se brûle si on en est trop près », commente Marjolaine Matabos. Parmi ces créatures de petites tailles, citons les étranges vers tubicoles, des animaux sans système digestif. « Ils n’ont ni bouche ni anus, et vivent en symbiose avec les micro-organismes hébergés par leur organisme, lesquels récupèrent l’oxygène contenu dans l’eau de mer et le sulfure du fluide hydrothermal », explique Marjolaine Matabos.
L’effet des marées
La vie des grands fonds est évidemment encore pleine de mystères – on sait qu’on la connaît moins bien que la surface de la Lune – et l’intérêt d’un programme comme celui-ci est d’en savoir davantage sur cette Terra incognita. Récemment, les scientifiques ont ainsi découvert l’influence que pouvaient avoir les marées. « Ce n’était pas intuitif du tout, mais il est apparu que le comportement des animaux à proximité des sources hydrothermales varie au rythme des marées, qui les voient sortir ou rentrer dans leurs cachettes », explique la spécialiste de l’Ifremer. Car la marée influe sur les courants sous-marins, qui eux-mêmes provoquent des dispersions des fluides hydrothermaux, lesquels se traduisent par les mouvements des vers. « De nouvelles analyses d’images avec ‘Espions des grands fonds’ peuvent permettre de confirmer cette découverte », conclut Marjolaine Matabos.
Source : Sciences et Avenir