Mardi 3 mai, les eurodéputés ont rejeté la proposition des Verts demandant l’interdiction de tracter un chalut sur les fonds des zones classées, peu préservées dans les faits.
Les pêcheurs vont pouvoir continuer à tirer leurs chaluts sur les fonds des zones marines officiellement protégées de l’Union européenne. Mardi 3 mai, lors d’un vote en plénière au Parlement à Strasbourg, 319 députés se sont prononcés contre la proposition de la députée Caroline Roose (Verts-Alliance libre européenne) qui demande l’interdiction de cette technique « dans toutes les aires marines protégées [AMP] » ; 280 eurodéputés ont voté pour et 35 se sont abstenus. Non sélective et dommageable pour les herbiers et autres habitats marins, cette technique est controversée. Les ONG lui consacrent fréquemment des rapports accusateurs. Une pétition portant 150 000 signatures et réclamant son bannissement a été remise, en décembre 2021, à la Commission européenne.
En 2020, cette dernière a annoncé, dans sa stratégie biodiversité, son ambition de protéger 30 % des terres et des mers d’ici à 2030 – comme le gouvernement français, au demeurant –, dont au moins un tiers de façon « stricte » afin d’enrayer le déclin des espèces. A l’échelle de la planète, l’objectif figure aussi au programme de la prochaine conférence mondiale sur le sujet, prévue d’ici à la fin de l’année. Les parlementaires avaient l’occasion d’œuvrer pour commencer à le mettre en application dans les aires marines protégées européennes. Ce n’est pas ce qu’ils ont décidé.
Contrairement à ce que leur nom pourrait laisser penser, les AMP ne sont actuellement pas réglementées comme des espaces à préserver de toute forme d’activité humaine nuisible pour les écosystèmes. En fait, elles sont généralement gérées avec l’idée d’y faire cohabiter toutes sortes d’usages : transport, tourisme, activités nautiques et, bien sûr, la pêche.
Aires « protégées », mais sans restrictions
La fédération France Nature Environnement a ainsi calculé que, dans le golfe de Gascogne, les bateaux qui pratiquent des techniques destructrices (comme le chalutage, mais aussi l’usage de filets de très grande taille) ont opéré, en 2018 par exemple, pendant plus de 174 000 heures dans les aires protégées, à comparer aux 235 000 heures à l’extérieur de ces zones. En 2021, 33,7 % des eaux françaises étaient classées, mais 12,5 % d’entre elles n’imposaient pas plus de règles à l’intérieur de l’AMP qu’alentour, relate une étude du chercheur Joachim Claudet (CNRS-université PSL). Et seul 1,6 % était protégé au sens strict.
C’est à ces cœurs de parcs marins ou de réserves naturelles que l’eurodéputé macroniste Pierre Karleskind (Renew Europe), qui préside la commission de la pêche au Parlement européen, souhaite limiter une éventuelle exemption du chalutage de fond. « Alors que l’interdiction s’applique généralement déjà dans ces espaces, même s’il n’existe pas de règle uniforme dans l’Union européenne », rétorque Caroline Roose. Les élus du Parti populaire européen (PPE) n’ont pas non plus voulu de la proposition de cette dernière. Ils ont fait en sorte que sa demande d’interdire le chalutage de fond dans l’ensemble des AMP soit séparée du rapport d’initiative consacré à l’économie bleue, dans laquelle elle s’était glissée. Ce texte de la députée sociale-démocrate Isabel Carvalhais, axé sur la protection de l’océan, des marins, mais aussi de la biodiversité, a, lui, été adopté par la commission pêche en mars et en plénière le 3 mai.
Une « honte »
Cette affaire de chalutage n’a pas échappé à la vigilance de l’ONG Oceana et de l’association Bloom, dont la fondatrice, Claire Nouvian, a qualifié de « honte »cette avancée avortée en faveur de l’environnement marin. A l’appel des Verts, plus de 30 000 personnes ont saisi par écrit des députés européens.
Pierre Karleskind a essuyé un début de tempête sur les réseaux sociaux. Lundi 2 mai, à la veille du vote, il envisageait un nouvel amendement préparé avec Pascal Canfin, qui siège lui aussi au groupe Renew dans lequel était demandé à l’Union européenne d’« interdire l’utilisation de techniques préjudiciables, dont le chalutage de fond, dans certaines parties de ses zones marines protégées en commençant par les plus menacées, lorsque l’interdiction est jugée proportionnée à la suite d’une évaluation d’impact fondée sur des avis scientifiques ». La formulation, à la portée considérablement rétrécie, alambiquée et sans échéance, avait de quoi rassurer les pêcheurs, mais risquait de sembler encore trop ambitieuse et de ne pas trouver de majorité au Parlement. Elle n’a finalement pas été présentée.
« Pour les professionnels du secteur, il y aurait des conséquences socio-économiques majeures à fermer ces zones, il faut bien le mesurer, avance Pierre Karleskind. Tout ça pour un résultat environnemental non démontré. On a l’art de faire des règles à Bruxelles que les pêcheurs ne comprennent pas ! Pour ma part, je défends un compromis scientifique et pragmatique. » En réponse aux protestations écologistes, il argumente sur la nécessité de viser l’ensemble des engins de pêche néfastes, pas seulement le chalut de fond, mais aussi la palangre, les grands filets, comme ceux dans lesquels se prennent les dauphins communs dans le golfe de Gascogne.
« Des études manquent encore »
« La proposition des Verts dénote une méconnaissance des AMP, assure-t-il. Certaines, comme la zone Natura 2000 du Pertuis charentais, ont été instaurées pour protéger les oiseaux de mer. Interdire le chalut de fond ne permettrait pas de sauver les oiseaux. » Peut-être, mais ces oiseaux ne se nourrissent-ils pas de poissons ? Et n’est-ce pas précisément pour préserver les habitats, dont les fonds marins, que le réseau européen Natura 2000 a été créé, en s’appuyant sur des bilans environnementaux établis par des scientifiques ? « Des études manquent encore, répond M. Karleskind. De toute façon, on ne va pas résoudre le problème de la santé de l’océan à travers un amendement. »
Mardi, le Parlement européen a finalement adopté à une large majorité (494 voix pour, 66 contre et 66 abstentions) une nouvelle proposition de M. Karleskind. Cette version-ci prie l’UE d’« interdire le recours aux techniques néfastes dans ses zones marines strictement protégées, sur la base des meilleurs avis scientifiques disponibles ». Caroline Roose a, pour sa part, obtenu l’approbation de trois autres amendements, dont un qui demande de bannir les activités extractives industrielles dans les AMP. Ce n’est pas le cas aujourd’hui.
photo : Des pêcheurs dans le golfe de Gascogne, en janvier 2020.