Les perruches à collier, à cui-cui mieux mieux

Introduite dans les années 70, possiblement lors d’un transit dans les aéroports franciliens, l’espèce est désormais très présente dans la région, notamment au parc des Buttes Chaumont. Si elle a été classée invasive, son impact sur la biodiversité urbaine n’est pas encore connu.

Parc des Buttes-Chaumont, dans le XIXe arrondissement de Paris, 15 heures. Au milieu de la foule venue profiter d’un lundi ensoleillé, Frédéric Malher pointe le nez vers le ciel. «Il n’y a pas que les humains qui font la sieste à cette heure-ci», lance, amusé, cet ornithologue urbain de la Ligue pour la protection des oiseaux (LPO). C’est ici, dans cette ancienne carrière de gypse reconvertie en parc urbain, que nichent actuellement, et comme chaque année depuis 2016, plusieurs couples de perruches à collier, les plus gros foyers étant situés au parc de Sceaux (Hauts-de-Seine) et dans la forêt de Sevran (Seine-Saint-Denis). «Ah ! Elle est là !» s’exclame- t-il enfin, jumelles vissées sur les yeux. Voilà plus de quarante ans que cet oiseau originaire d’Afrique et d’Inde, facilement reconnaissable à son plumage vert flamboyant, son bec rouge et son cri strident, s’est établi en Ile-de-France, où on en dénombre actuellement entre 10 000 et 20 000.

Une prolifération qui lui vaut d’être considérée en France comme une «espèce exotique envahissante» (EEE), c’est-à-dire «une espèce introduite par l’homme en dehors de son aire de répartition naturelle (volontairement ou fortuitement) et dont l’implantation et la propagation menacent les écosystèmes, les habitats ou les espèces indigènes avec des conséquences écologiques, économiques ou sanitaires négatives», conformément aux définitions de l’Union internationale pour la conservation de la nature (UICN), de la Convention sur la diversité biologique de 1992, du Parlement européen et du Conseil de l’Europe. D’après les experts de la Plateforme intergouvernementale scientifique et politique sur la biodiversité et les services écosystémiques, les espèces exotiques envahissantes seraient l’une des causes principales de l’érosion de la biodiversité mondiale.

Écoguerriers

Face à ces «nuisibles», Bérangère Abba, la secrétaire d’Etat chargée de la Biodiversité sortante, a annoncé en mars un plan national d’action pour prévenir l’introduction et la propagation des espèces exotiques envahissantes ainsi que 500 actions «coups de poing» pour réagir rapidement face aux espèces susceptibles de s’installer. Mais pour les perruches à collier, dont la réglementation actuelle interdit la libération dans le milieu naturel, il est désormais trop tard. Comme elles sont bien implantées sur le territoire, «on ne réussira jamais à limiter leur nombre», estime Frédéric Malher. D’après nos recherches et les différents spécialistes interrogés, ces «belles invasives» auraient été observées pour la première fois en France dans les années 70, au sud de Paris, dans les Hauts-de-Seine et le Val-de-Marne. A l’époque, «à l’aéroport d’Orly, où transitent de nombreuses marchandises, plusieurs dizaines d’individus en cage auraient été relâchés, relate Romain Julliard, professeur d’écologie au Muséum national d’histoire naturelle. L’histoire dit par des activistes écolos, ceux qu’on appelait alors les écoguerriers. C’est peut-être une légende mais c’est tout à fait compatible». Vingt ans plus tard, un événement similaire se serait produit, au nord de Paris cette fois, probablement à l’aéroport de Roissy-Charles-de-Gaulle. Aucun des deux aéroports, contactés par Libération, n’a confirmé ou infirmé cette thèse.

Au gré des années, des échappées ou des lâchers volontaires par des particuliers seraient venus garnir les rangs de ces deux colonies originelles d’Ile-de-France. Ce fut notamment le cas lors de la grippe aviaire, en 2005. «Par peur, beaucoup de gens se sont débarrassés de leurs oiseaux en cage», explique Romain Julliard. Les perruches à collier ont fini par s’acclimater à la métropole parisienne où elles trouvent, dans les parcs urbains, les ressources nécessaires à leur survie, créant par la même occasion de nouveaux écosystèmes.

«Manque de recul»

En attestent les perruches à collier du parc des Buttes-Chaumont, où l’une d’elles rentre avec agilité dans la cavité d’un tronc juste au-dessus de nos têtes. «C’est une espèce qui se nourrit des bourgeons, des fruits et des graines des plantes et des arbres ornementaux qui fleurissent toute l’année comme ceux du platane et du catalpa dont elles sont (presque) les seules à être friandes, souligne Romain Julliard. Elles trouvent aussi dans la ville toutes sortes de cavités où nicher.»

De quoi représenter une menace ? Si l’oiseau est connu pour ravager les cultures en Inde et en Israël, et pour concurrencer la grande noctule, une espèce de chauve-souris, en Espagne, peu d’études en France mettent l’accent sur ces phénomènes et de possibles compétitions avec des espèces locales. «Leur classement en EEE est basé sur le principe de précaution, rappelle Emmanuelle Sarat, coordinatrice du Centre de ressources sur les EEE de l’UICN. On manque aujourd’hui de recul et de données pour mesurer leurs effets et connaître leur réel impact.»

Si l’on constate des nuisances sonores près de leurs dortoirs, quelques dégâts sur certains arbres et vergers ou sur certains bâtiments (creusement de niches dans l’isolation extérieure), «affirmer que la perruche à collier a un effet sur la biodiversité, c’est abusif et surtout indémontrable», affirme Romain Julliard.

Les résultats d’une étude menée en 2020 par une équipe de l’université Paris-Saclay, du Muséum national d’histoire naturelle, d’AgroParisTech et du CNRS témoignent d’une concurrence sur les mangeoires avec les petites espèces (mésanges, moineaux, rouges- gorges, etc.), «mais ni plus ni moins qu’avec d’autres oiseaux du même gabarit», tels que la pie. Pour la nidification, elle entre en compétition avec les choucas, les sittelles, les pigeons colombins… qui se bagarrent pour la meilleure cavité. «Mais comme toutes les espèces !» insiste Romain Julliard, qui refuse d’ériger la perruche à collier en exception.

Libération / Aurore Coulaud / 17 mai