Journée mondiale de l’océan : BLOOM s’oppose à un décret révélateur du cynisme écologique d’Emmanuel Macron

BLOOM engage, en cette journée mondiale de l’océan, une procédure contre un décret gouvernemental dangereux pour la biodiversité marine et le climat. Discrètement publié dans la saturation médiatique du lendemain du premier tour de l’élection présidentielle, le décret trahit les intentions fermement anti-écologiques du projet d’Emmanuel Macron.

Paru le 13 avril 2022 au Journal officiel, ce décret [1] la définition des zones de « protection forte » qui s’appliquera aux aires marines dites « protégées », de façon à pouvoir atteindre les chiffres de protection annoncés par Emmanuel Macron dès 2019, mais sans avoir à protéger locéan.  Tel qu’il est rédigé,[2] le texte prévoit un « évitement » ou une « limitation significative » des activités humaines impactantes et non pas leur interdiction catégorique comme elles devraient l’être dans n’importe quelle aire dite « protégée » d’après les standards internationaux.[3]Autrement dit, le décret autorise bel et bien les activités destructrices dans les zones de « protection forte », alors que celles-ci devraient interdire toute activité humaine, pas seulement les plus destructrices.

Une destruction même du concept d’aire marine protégée

Lire la tribune de Claire Nouvian dans Le Monde

Ce décret détruit le concept même d’aire marine protégée puisque la France appelle déjà dans un mensonge assumé « aire marine protégée » une zone où aucune activité destructrice n’est interdite. Or les classifications proposées par la communauté internationale pour les aires marines protégées sont d’une limpidité totale : d’après l’UICN[4], une « aire marine protégée » ne peut pas être considérée comme « protégée » si des activités extractives industrielles (y compris les pêches) y sont conduites ou des infrastructures industrielles développées.[5] Une aire marine protégée au sens large interdit donc les activités industrielles mais permet la pêche artisanale. Alors que la protection « intégrale », qui se définit ainsi : « Aucune activité extractive ou destructrice n’est autorisée ; tous les impacts sont minimisés »[6]interdit toutes les activités humaines, y compris la pêche artisanale.

Ce que la France appelle, en l’amoindrissant dans ce décret, une « protection forte » devrait en fait correspondre à une définition s’appliquant à l’ensemble des aires marines protégées, tandis que la « protection forte » telle que promise par le Président qui avait évoqué des aires marines « en pleine naturalité » devrait correspondre à de la protection « intégrale ».

Cet imbroglio technique résulte d’une stratégie savamment pensée – et désormais bien identifiée – permettant au Président de la République de passer pour un champion de l’écologie auprès des médias et de la communauté internationale sans avoir à contrarier le moins du monde les intérêts constitués des lobbies industriels. Ce texte n’est évidemment pas le fruit du hasard : en reconstruisant sa genèse, on comprend le calcul cynique du gouvernement Macron.

Le cynisme écologique d’Emmanuel Macron

 La chronologie des faits est saisissante : dès 2019, le Président de la République annonce officiellement des objectifs ambitieux de protection de l’océan, rendus nécessaires par la double crise de la biodiversité et du climat : aux ‘Assises de la mer’ en décembre 2019[7], puis de nouveau au Congrès mondial de la nature de l’UICN, accueilli en septembre 2021 par la France à Marseille, Emmanuel Macron déclare avoir « pris l’engagement au printemps 2019 d’avoir 30% de protection et 10% de protection forte. »[8]

Ces objectifs chiffrés[9], largement diffusés et applaudis, font d’Emmanuel Macron un champion de la conservation de la nature sur la scène nationale et internationale. C’est la première étape de l’imposture.

Le 11 février 2022, en clôture du « One Ocean Summit » organisé à Brest, le Président Emmanuel Macron annonce que la France va « doubler ses aires de protection forte » en les faisant « passer de 2 à 4% ». Il ajoute « qu’on est sur le bon chemin pour atteindre nos 10% à horizon 2030. »[10]

Le Président peut se permettre cette annonce car d’une part, les aires nouvellement protégées sont désignées dans les eaux australes françaises là où très peu d’activités de pêche ont lieu et surtout, Emmanuel Macron sait qu’un décret vidant de sa substance la notion de « protection forte » est non seulement déjà rédigé, mais sa consultation publique est même déjà close depuis exactement une semaine, le 5 février 2022.[11]

Ce décret révèle deux choses : d’une part, que le gouvernement français n’a pas la moindre intention de protéger l’océan des activités industrielles, comme le dicte pourtant la définition d’une « aire marine protégée » selon l’UICN, pas même sur une portion réduite à 10% des eaux françaises ; et d’autre part, que le gouvernement ne se contente pas d’« inaction » environnementale. Au contraire, en matière d’écologie, le projet du gouvernement Macron, infiniment cynique, est méticuleusement pensé et orchestré : il s’agit de mentir méthodiquement pour masquer le parti-pris résolu en faveur des industries extractives destructrices contre celui des citoyens et de la planète.

Un enjeu majeur pour le climat, la biodiversité et l’avenir de la petite pêche artisanale

L’enjeu est pourtant de taille car il s’agit aujourd’hui de définir la norme qui va servir de référence pour la gestion des aires marines protégées à l’aveniret donc fixer le curseur de notre ambition pour restaurer la santé de l’océan et de la petite pêche artisanale française, détruite par des décennies de concurrence déloyale avec les pêches industrielles.

Ce décret intervient au moment où le GIEC et l’IPBES nous enjoignent à des actions fortes, déterminées et immédiates pour protéger le climat, les habitats naturels et les espèces vivantes et au moment où les États parties contractantes de la Convention sur la diversité biologique sont en phase de révision à la hausse des objectifs de protection de la nature pour que 30% de l’océan soit protégé d’ici 2030, comme le recommande l’UICN.[12]

La Présidence française a promis l’excellence écologique mais orchestre un statu quo climaticide. Il est temps de joindre les actes à la parole pour que la stratégie nationale des aires marines protégées remplisse ses objectifs, cités dans le Code de l’environnement : « la protection de l’environnement et des paysages, […] la préservation et la reconquête de la biodiversité, […] la prévention et à l’atténuation des effets du dérèglement climatique ainsi qu’à la valorisation du patrimoine naturel et culturel des territoires. »

Pour l’ensemble des raisons évoquées ci-dessus, BLOOM dépose aujourd’hui, avec le concours du cabinet d’avocats TTLA, un recours gracieux demandant au gouvernement de M. Macron de retirer ce décret, qui en l’état actuel, représente une menace grave et immédiate pour l’océan et le climat, rend inopérant le concept même de protection marine et amoindrit l’ambition écologique internationale pour l’océan en créant une définition juridique dans laquelle les industries extractives pourront s’engouffrer pour poursuivre leurs activités bio-climaticides dans les zones supposément protégées.

BLOOM demande au gouvernement d’adopter une définition claire des niveaux de protection marine en s’alignant sur les standards internationaux, notamment les recommandations scientifiques du Guide des Aires marines protégées :[13]

  1. Une « aire marine protégée » interdit toute activité extractive ou infrastructure industrielle (y compris les pêches).[14] Cette définition correspond à la catégorie de « protection forte » selon les recommandations scientifiques : « Seules les activités extractives légères sont autorisées avec un faible impact total, tous les autres impacts pouvant être réduits étant minimisés ».[15] Les ligne directrices scientifiques précisent donc que la « protection « forte » autorise certaines activités de recherche ou de pêche artisanale si elles sont peu nombreuses et si la méthode a un faible impact.[16] La définition scientifique de la « protection forte » devrait déjà s’appliquer aux 30% des aires marines dites « protégées » de notre ZEE. Ce que la France nomme « protection » devrait correspondre à la « protection forte » des recommandations scientifiques.
  2. Une aire marine « intégralement » protégée interdit toute activité extractive ou destructrice.[17] Cette catégorie ne permet aucun prélèvement et devrait s’appliquer aux 10% des aires marines que le gouvernement a promis de classer « en pleine naturalité » : une promesse dont il tente aujourd’hui de se défaire. Ce que le gouvernement d’Emmanuel Macron accomplit aussi, en nivelant vers le bas l’ensemble de la définition des aires protégées, c’est de faire disparaître le concept de « protection intégrale »,les zones dites de « no-take » qui sont pourtant celles qui permettent le rétablissement le plus spectaculaire de la biodiversité et des habitats marins et sont évaluées comme les plus efficaces par les scientifiques.

Ce que la France nomme « protection forte » devrait correspondre à la « protection intégrale ».  

Ce n’est qu’en adoptant les classifications proposées par la communauté scientifique que le gouvernement pourra doter les aires marines protégées de standards de protection aptes à rendre ces outils de gestion efficaces pour la préservation de la biodiversité et la lutte contre le dérèglement climatique. Par la taille de sa zone économique exclusive, la France est la deuxième puissance maritime mondiale, après les États-Unis. A l’heure de l’effondrement du vivant et du climat, contrôler une telle surface maritime oblige. Les citoyens sont en droit d’obtenir une réponse claire, rapide et ambitieuse sur cette question cruciale pour l’avenir du climat, de la biodiversité et de la pêche artisanale.