Les comptes de la Fédération national des chasseurs, publiés début août, montrent une augmentation de 42 000% entre 2017 et 2021 des recettes liées «aux concours publics et subventions d’exploitations». Cette évolution s’explique en grande partie par la réforme de la chasse de 2019.
Les chasseurs, assis sur un «tas d’or» grâce au président de la République ? Le 16 août, le site lanceuralerte.org a publié un article sur les comptes des cinq dernières années de l’organisation, publiés une semaine plus tôt au journal officiel, et passés jusque-là inaperçus. On y découvre notamment que les subventions accordées à la FNC présidée par Willy Schraen auraient atteint 6,3 millions d’euros en 2020 puis 11, 46 millions en 2021 contre environ 27 000 en 2017. «Soit une augmentation des versements d’argent public de 23 000 % entre 2017 et 2020, et 42 000 % entre 2017 et 2021», observe l’auteur Alexandre Renahy. Le 17 août, «Ruraux en Colère», un «collectif» contre «les abus de la chasse», a partagé ces observations sur Twitter (confondant le taux d’augmentation entre 2017 et 2021 et celui entre 2020 et 2021). La polémique est alors relancée.
«On se doutait depuis longtemps que les chasseurs étaient assis sur un tas d’or grâce au soutien de l’Etat. Mais là, on a les chiffres !» a ainsi réagi le député écologiste Nicolas Thierry auprès du Parisien. «Nous allons saisir le gouvernement à la rentrée pour demander plus de transparence sur l’utilisation de l’argent public alloué aux chasseurs», a-t-il ajouté, ciblant en particulier l’écocontribution, un dispositif instauré par la réforme de la chasse de 2019. Pour chaque permis de chasse validé dans l’année, l’Etat verse 10 euros et les fédérations de chasseurs 5 euros dans un fonds géré par la FNC et dédié «à la protection et à la reconquête de la biodiversité», soit environ 15 millions d’euros (dont 10 déboursés par l’Etat). Une somme connue dont le montant et l’utilisation ont déjà été l’objet de critiques.
L’écocontribution permet de financer des projets portés par les fédérations de chasseurs dans le cadre d’une convention avec l’Office français de la biodiversité qui valide ou non l’attribution de ces financements. «Ce fonds est géré par l’OFB qui instruit les demandes de projets, les présente à ses instances internes et verse les montants à la FNC qui est chargée de les reventiler ensuite à chaque fédération porteuse de chaque projet», détaille le ministère de la Transition écologique, contacté par CheckNews.
En novembre 2021, le conseil scientifique de l’OFB a émis un avis particulièrement sévère vis-à-vis du contrôle de la qualité des projets financés par l’écocontribution. Il a «fait le constat que le dispositif mis en place ne permet pas de garantir une qualité suffisante des projets sélectionnés», en raison notamment «du manque d’information présent dans les dossiers rendant toute évaluation très difficile», et «de l’impossibilité de procéder à une réelle sélection (et de refuser des dossiers), induit par le faible nombre de dossiers proposés en regard du montant financier annuel devant être obligatoirement dépensé». «Il en résulte que seuls 7 % des dossiers présentés sont refusés, alors que dans le cadre d’autres appels à projets, les refus correspondent à 50 % voire 70 % des dossiers présentés», observe le comité scientifique. Quinze jours plus tard, le conseil d’administration de l’OFB a pourtant approuvé le renouvellement de la convention avec la FNC pour cinq années supplémentaires.
La FNC redistribue l’écocontribution aux autres fédérations
Le 22 janvier 2022, trois associations écologistes, la Ligue de protection des oiseaux (LPO), l’Association pour la protection des animaux sauvages (Aspas) et l’Office pour les insectes et leur environnement (OPIE) ont déposé un recours auprès du tribunal administratif de Melun pour demander l’annulation de la convention. Les organisations reprochent notamment le financement via ce fonds de projets qui n’auraient pas de réel intérêt pour la nature et la biodiversité, voire qui seraient simplement des opérations de promotion de la chasse. L’affaire doit être jugée sur le fonds. En mars 2022, les associations ont, par ailleurs, tenté en urgence un référé suspension contre l’écocontribution, sans succès.
Mais à noter que si la FNC redistribue l’écocontribution aux autres fédérations, les quelque 10 millions de participation de l’Etat ne sont pas repris en totalité dans la ligne appelée «subventions d’exploitation» puis «concours publics et subvention d’exploitation» des comptes 2021 de la FNC. En effet, n’y sont intégrées que les sommes touchées par la fédération nationale pour ses propres projets. Contactée, la FNC indique avoir ainsi reçu 1,8 million d’euros au titre de l’écocontribution pour la saison 2020-2021. Cette somme, importante, ne suffit donc pas à expliquer l’explosion du montant des subventions observées dans les comptes de l’organisation.
Dans le détail, la ligne comprend, d’après la FNC, en plus de l’écocontribution, les subventions d’organismes publics (480 594 euros), celles des organismes privés (183 550 euros) «ainsi que les compensations financières suite à la loi du 24 juillet 2019». «Ce qui a changé entre 2016-2017 et 2020-2021, est le vote de la loi «chasse». Cette loi de juillet 2019 a acté notamment des transferts de missions de service publics aux Fédérations des chasseurs. Il s’agit en l’occurrence de prendre en charge la gestion et la coordination des associations communales de chasse agréées (Acca) et l’attribution des plans de chasse individuels, missions autrefois exercées par les préfets. La compensation financière pour ces missions est de 9 millions d’euros par an», indique la FNC.
Réforme du prix du permis national de chasse
Par ailleurs, comme l’ont souligné nos confrères du Monde, les recettes de la fédération nationale de la chasse ont aussi bondi grâce à une réforme du prix du permis national, accordée par Emmanuel Macron en 2018. Pour pratiquer la chasse, il est nécessaire de valider son permis chaque année en fonction de la durée et de la zone géographique souhaitée, comme le précise le site des démarches administratives du ministère de l’Intérieur. «La validation nationale vous permet de chasser partout en France. La validation départementale vous permet de chasser dans le département de validation, et pour les territoires dont vous détenez les droits de chasse, pour leur partie contiguë située dans les départements limitrophes. Toutefois, la première validation annuelle que vous obtenez vous permet de chasser partout en France», peut-on lire.
En 2018, Emmanuel Macron a donné son accord pour diviser par deux le prix du permis national. En août 2019, 48% des demandes de validation de permis de chasse concernaient le permis national, avait indiqué, à l’époque, Thierry Coste, porte-parole de la FNC, au Figaro. «L’effet prix joue à plein», avait-il analysé. Car auparavant, les chasseurs optaient dans l’immense majorité des cas pour un permis départemental qui était alors bien moins onéreux. Lors de la saison 2017-2018, 1 020 000 chasseurs étaient titulaires d’un permis départemental pour un coût variant entre 119 et 250 euros, comme l’expliquait CheckNews, dans une réponse, précédente contre 100 000 permis nationaux, facturés 400 euros.
Le succès du permis national réformé est bien visible dans les comptes de la FNC. Les recettes liées aux cotisations sont passées d’environ 11, 8 millions d’euros (un chiffre stable depuis 2017) à plus de 28,6 millions d’euros pour la saison 2019-2020. En revanche, d’après Nicolas Rivet, le directeur général de la FNC, contacté par CheckNews, «cette opération n’a pas augmenté le nombre total de chasseurs», tous permis confondus, qui d’après nos informations est passé sous la barre du million en 2020. A noter que certains chasseurs possèdent parfois un double permis départemental leur permettant de chasser dans plusieurs territoires.
Source
: Libération / Alexandre Horn et Emma Donada /24 août 2022