Les léopards de mer comptent parmi les prédateurs les plus méconnus de l’Antarctique. Une étude lève le voile sur l’incroyable variabilité comportementale de ces animaux marins, qui pourrait contribuer à la survie de l’espèce dans le contexte du changement climatique.
Le « méchant » du film d’animation « Happy Feet » (2006), c’est lui ! Si le léopard de mer (Hydrurga leptonyx) – ou « phoque léopard » – inspire la crainte, ce mammifère carnivore reste pourtant mal connu. En cause, sa discrétion, de son mode de vie solitaire, et surtout, les conditions inhospitalières qui rendent son observation périlleuse pour les scientifiques qui l’étudient.
Malgré ces difficultés, une équipe de chercheurs américains est parvenue à suivre une vingtaine de léopards de mer au large de la péninsule antarctique occidentale – une zone particulièrement touchée par le réchauffement climatique. Chaque animal a été pesé, mesuré, puis suivi à l’aide de balises satellite/GPS.
Publiée dans la revue Frontiers of Marine Science, cette étude démontre pour la première fois une importante variabilité – ou « plasticité » – dans les comportements de ces prédateurs marins.
Plongée, exploration : des comportements qui varient selon les individus
Ainsi, si l’un des phoques n’a parcouru qu’une cinquantaine de kilomètres à peine depuis l’endroit où l’équipe l’avait repéré au départ, en revanche, un autre individu a quant à lui parcouru près de 1.700 km au cours de la même période, nageant jusqu’à une île située à plus d’un millier de kilomètres du lieu de marquage.
Plus étonnant encore, la durée pendant laquelle les léopards de mer restent en apnée ainsi que la profondeur de plongée – 3 minutes et une trentaine de mètres en moyenne – varient beaucoup selon les individus.
Certains léopards de mer retiennent leur respiration pendant plus de 40 minutes, et l’un d’eux – surnommé par les chercheurs « Deadpool » – a même plongé jusqu’à 1,256 m sous la surface, où il a passé près d’une demie heure. Un record.
« Dans l’ensemble du règne animal, la variabilité est vitale pour que les animaux s’adaptent et répondent aux changements de leur environnement, explique Sarah Kienle, biologiste marine de l’université Baylor (Texas, Etats-Unis), auteure principale de l’étude, citée dans un communiqué. Nous sommes donc ravis de constater une grande variabilité chez ce prédateur de l’Antarctique. »
Les femelles léopard de mer, beaucoup plus grosses que les mâles
Par ailleurs, les auteurs de l’étude ont confirmé l’incroyable « dimorphisme sexuel » du léopard de mer, c’est-à-dire la différence d’apparence entre les sexes. En l’occurence, les femelles s’avèrent moitié plus grosses que les mâles.
Si la « prédominance féminine » reste rare parmi les mammifères, cette espèce en constitue l’exemple le plus extrême, soulignent les chercheurs. Les scientifiques ont ainsi identifié l’un des plus gros léopards de mer recensés à ce jour. Il s’agit de « Bigonia », une femelle de 540 kg – soit près du double du poids du plus petit mâle étudié (282 kg).
Les grandes femelles se trouveraient plus aptes à défendre leurs zones de chasse, voire à voler les proies de leurs congénères plus petits. Elles consommeraient également des proies plus grosses et riches en énergie, telles que les otaries à fourrure et les manchots, tandis que les mâles, eux, se contenteraient de proies plus petites comme le krill (crustacés) et les poissons.
Bientôt d’autres découvertes sur le léopard de mer ?
Parmi les léopards de mer suivis par les chercheurs, deux femelles adultes ont passé une quinzaine de jours sur la glace au milieu de l’océan, sans manger ni se mettre à l’eau – ce qui pourrait correspondre à la période où elles ont mis bas et allaité leur petit, précisent les auteurs.
Des résultats fascinants, d’autant que les scientifiques n’ont pas fini d’analyser les données recueillies – et qu’ils prévoient également de comparer les comportements de ces animaux avec ceux d’autres populations de l’océan Austral.
« Il me reste encore beaucoup de questions, et je suis impatiente de poursuivre mes recherches sur les léopards de mer dans les années à venir, confirme Sarah Kienle. Il y a encore tant de choses à découvrir sur cet incroyable prédateur de l’Antarctique. »