Sondage inédit : 98% des pêcheurs contre une technique de pêche industrielle défendue par la France

Alors que démarrent le 15 septembre 2022 à Bruxelles les négociations de « trilogue » entre les trois institutions européennes (Parlement, Commission, Conseil) sur l’interdiction de la « senne démersale »

, une technique de pêche destructrice inventée par les industriels néerlandais, les pêcheurs de Normandie et du Nord de la France, concernés par la concurrence directe avec ces méthodes de pêche anti-écologiques, se sont exprimés dans un sondage organisé par le Comité régional des pêches de Normandie (CRPMEM) et l’Organisation des pêcheurs normands (OPN).

205 pêcheurs ont pris part au sondage, le résultat est sans équivoque : 98,1% des pêcheurs sondés ont répondu « oui » à la question « êtes-vous favorable à l’interdiction de la senne démersale dans les 12 milles pour tous les pavillons ? ».[1]

La moitié des pêcheurs français pratiquant eux-mêmes la senne démersale[2] n’hésite pas à demander l’interdiction de la méthode dans laquelle ils ont investi, tant celle-ci ravage les écosystèmes marins, les populations de poissons et les équilibres économiques des territoires.

En savoir plus sur la senne démersale

Dans ce contexte, la France devrait défendre sans équivoque ses pêcheurs côtiers et les emplois artisans, fragilisés par des décennies de concurrence brutale et déloyale avec les industriels, notamment – mais pas uniquement – étrangers. Mais à l’opposé de cela, la France abandonne ses marins au profit des industriels étrangers.

La senne démersale est le coup de grâce des industriels néerlandais contre la pêche côtière française des Hauts-de-France et de Normandie, déjà malmenée par les navires bataves qui se targuent d’inventer des « pêches technologiques » mais qui accélèrent en réalité l’effondrement du climat, des animaux marins et des pêcheurs. Les pêcheurs du Nord ont déjà dû se battre contre les industriels néerlandais lorsque ceux-ci pratiquaient la pêche électrique, précipitant la fermeture de la criée de Dunkerque et ruinant des pêcheurs artisans français.

Le 12 juillet 2022, la Commission de la pêche du Parlement européen a voté l’interdiction de la senne démersale dans les eaux territoriales normandes et des Hauts-de-France pour les navires néerlandais et belges (via la révision de l’article 5 de la Politique commune de la pêche) L’eurodéputé Pierre Karleskind (Renaissance) a obtenu le mandat pour aller directement négocier en « trilogue » une position commune avec la Commission européenne et le Conseil de l’Union européenne (les États membres) sans passer par le vote en plénière.

En qualité de rapporteur du texte, il est garant, avec la France, du respect et maintien de la position du Parlement au sein du trilogue qui va entériner la discussion.

Mais que se passe-t-il de fait à Bruxelles ?

La France ne tente même pas de défendre ses pêcheurs.

Les États membres souhaitent un statu quo, c’est-à-dire maintenir la pêche industrielle destructrice en suivant la position et les intérêts des Pays-Bas, malgré les arguments écologiques prouvant qu’un engin aussi efficace est incompatible avec la vulnérabilité de la bande côtière, malgré les demandes des pêcheurs côtiers français et leur désarroi, malgré l’urgence climatique. Loin du scrutin public et médiatique, la France joue à Bruxelles un rôle sombre pour l’avenir des régions Hauts-de-France et Normandie.

Interdire la senne démersale est une question de survie économique pour les pêcheurs côtiers. D’abord déployés en Mer du Nord, les navires néerlandais pratiquant la senne se sont rabattus sur la Manche Est face au déclin rapide de la ressource, avant de fondre sur les ressources de la Manche Ouest comme des prédateurs mobiles. Les pêcheurs côtiers, beaucoup moins mobiles, assistent, impuissants et désemparés à la catastrophe écologique et sociale en cours, dans un scénario en tous points identique à celui de la pêche électrique. Des années d’alertes et de signalements aux autorités restés sans réponse.

Aucun argument rationnel ne peut être invoqué par la France pour laisser une technique de pêche si efficace dans une zone aussi fragile dont dépendent les pêcheurs côtiers.

L’issue du trilogue dépend uniquement de la détermination du gouvernement français à défendre l’interdiction de la senne. En l’absence d’interdiction de la senne, la France condamnera ses propres pêcheurs à la ruine, en oubliant que lorsque la course en avant à la performance technologique aura vidé nos mers, la faillite collective sera la réponse à la guerre que nous menons aux poissons.

Pour en savoir plus :

BLOOM a lancé une pétition le 14 septembre 2022 adressée au Président Macron pour que la France défende et gagne l’interdiction de la senne démersale lors du trilogue : https://interdiction-senne.bloomassociation.org/

Plusieurs régions de France ont déjà interdit cet engin dans leurs eaux territoriales. C’est le cas de l’Aquitaine, de la Bretagne et d’une partie de la Normandie. En ce sens, un rapport de l’Assemblée nationale en France préconise  de « réglementer de manière uniforme au niveau national l’accès des navires à la bande des douze milles en interdisant notamment l’usage dans cette zone de certains engins de pêche particulièrement efficaces, tels la senne danoise [démersale]. »

[1] 205 répondants représentent 36% des 568 navires riverains de la Manche Est (de Cherbourg à Dunkerque).

[2] Six répondants sur 205 pratiquent la senne démersale. Trois sur six sont pourtant favorables à son interdiction.

Source :

Valérie de Baecque / Patricia Roy

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