Alors que la plupart des océans du monde voient leur température augmenter avec le réchauffement climatique, une étude publiée dans la revue PLOS Climate explique comment les eaux autour des îles Galápagos restent fraîches, voire se refroidissent.
La deuxième plus grande réserve marine du monde, un écosystème d’une riche biodiversité abritant plusieurs espèces menacées, un site classé au patrimoine mondial naturel de l’UNESCO – qui le qualifie de « musée vivant« , et bien sûr, le lieu qui a inspiré à Charles Darwin sa théorie de la sélection naturelle : le sanctuaire des îles Galapagos, au large de l’Equateur, cumule les records.
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En s’intéressant au climat de cet archipel volcanique, un scientifique de l’Université du Colorado Boulder (UC Boulder) a mis en évidence une « bonne nouvelle » pour la préservation de ce joyau. Publiée dans la revue PLOS Climate (9/2022), l’étude montre que les eaux situées au large de la côte ouest des Galápagos se sont refroidies de 0,5 °C depuis le début des années 1990.
Pourtant, à l’instar de la planète, l’océan Pacifique voit sa température augmenter. Comment, alors, expliquer l’exception autour des îles Galapagos ? D’après cette étude, la réponse aurait trait… à un courant océanique, décrit par des travaux antérieurs à l’aide de données issues de plusieurs milliers de capteurs océaniques flottants (Geophysical Research Letters).
Un courant marin bloqué sur la ligne de l’équateur
En effet, l’archipel se situe exactement sur la ligne de l’équateur. Or, la rotation de la Terre sur son axe a pour conséquence de maintenir un courant océanique pile sur cette latitude. En se dirigeant d’ouest en est, les eaux froides et riches en nutriments qui circulent en profondeur viennent heurter le relief sous-marin à proximité des îles, provoquant une remontée vers la surface.
En atteignant la zone où pénètre la lumière, l’eau chargée en nutriments stimule les organismes qui réalisent la photosynthèse, ce qui provoque une explosion de nourriture pour la faune – bénéficiant par exemple au manchot des Galápagos, à l’otarie à fourrure des Galápagos et à l’otarie des Galápagos.
C’est ce processus qui offrirait à l’archipel non seulement un foisonnement de vie – y compris l’essor d’animaux plus communément rencontrés vers les pôles, mais aussi un « effet tampon » s’opposant au réchauffement de l’eau.
« Il y a une lutte acharnée entre l’effet de serre qui provoque le réchauffement (de l’eau) par le haut, et le courant océanique froid. À l’heure actuelle, le courant océanique en sort gagnant« , affirme Kris Karnauskas, auteur de l’étude, professeur au département des sciences atmosphériques et océaniques de l’UC Boulder, dans un communiqué.
Le courant qui protège les Galapagos se renforce…
Le courant froid en question se serait même renforcé au fil des décennies. « Il existe des preuves claires, remontant à 1982, que ce courant s’est renforcé et que les eaux froides des côtes occidentales des îles se sont refroidies« , précise le Pr Karnauskas.
À l’aide d’un modèle océanique à haute résolution, le chercheur a démontré que le refroidissement continu de ce courant – qui prend naissance près de l’Australie et qui compte déjà parmi les courants les plus puissants du monde – résulte de changements au niveau des vents qui traversent l’équateur.
Si cette accélération du courant équatorial profond semble cohérente avec les simulations de modèles climatiques, les chercheurs ne peuvent néanmoins pas conclure avec certitude sur le fait que cette tendance soit – de manière paradoxale – attribuable au réchauffement climatique causé par l’homme, ou bien qu’elle résulte de cycles naturels.
Quoi qu’il en soit, tant que ce courant providentiel continuera de prévaloir sur le réchauffement climatique, les coraux demeureront préservés face au blanchissement – un phénomène qui se produit lorsque la température de l’eau augmente et que le corail expulse son partenaire symbiotique, une algue microscopique, ce qui le fragilise et peut conduire à la mort.
Or, des coraux en bonne santé constituent la clé de voûte d’une chaîne alimentaire foisonnante. De quoi préserver non seulement la faune et la flore des îles Galapagos elles-mêmes, mais aussi celle des régions à proximité – ainsi que les activités de pêche traditionnelle qui en dépendent, souligne l’auteur.
…mais pour combien de temps ?
Toutefois, rien ne dit combien de temps ce courant continuera de préserver l’archipel. Le phénomène El Niño (phase chaude d’un cycle climatique récurrent dans le Pacifique tropical) vient d’ailleurs l’interrompre temporairement tous les deux ans, ce qui provoque l’effondrement des populations de manchots – donnant un « aperçu » de ce qui pourrait advenir si le courant équatorial venait à disparaître.
« Si ce courant change à l’avenir, cela pourrait être vraiment dévastateur pour l’écosystème« , s’inquiète le Pr Karnauskas. « Ce que les données montrent très clairement, c’est qu’il perdure jusqu’à présent. Mais cela ne signifie pas qu’il va se maintenir pour toujours. »
La surpêche pratiquée par des navires industriels – parfois illégaux – et la pression liée au tourisme fragilisent également ce précieux écosystème. « Les pressions humaines sur cette zone et le mécanisme (de courant froid) qui la maintient en vie sont en opposition« , avertit le scientifique, prônant davantage de mesures de protection.
Source GEO