VERT : Edition spéciale consacrée à la synthèse du dernier cycle de travail du Giec (groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat)

Le Giec vient de mettre un point final à son immense rapport, nous avons maintenant toutes les clefs pour réagir et améliorer notre sort.

Fruit de plus de sept ans de travail, mené par des centaines de scientifiques du monde entier, il résume les conclusions de ses derniers travaux : les rapports publiés par chacun de ses trois groupes de travail (sur la physique du changement climatique ; ses impacts ; les solutions pour réduire les émissions de gaz à effet de serre), ainsi que ses trois rapports spéciaux (sur les conséquences d’un réchauffement de +1,5°C par rapport à l’ère préindustrielle ; les océans et la cryosphère ; les terres émergées).

Un document majeur dont les principaux enseignements figurent dans un résumé pour les décideurs à destination des grand·es de ce monde. Celui-ci rappelle la nécessité absolue d’une action urgente : «Les choix et les actions mis en œuvre au cours de cette décennie auront des répercussions aujourd’hui et pendant des milliers d’années».

Tour d’horizon des principales leçons de ce rapport qui établit le consensus scientifique sur le climat pour les années à venir.

Les activités humaines sont, «sans équivoque», responsables du réchauffement de la planète

Ce réchauffement est essentiellement dû aux émissions de gaz de serre, dont près de 80% sont liées aux secteurs de l’énergie, de l’industrie et du bâtiment, et environ 20% à l’agriculture, la déforestation et le changement d’usage des terres. Entre 2011 et 2020, il s’est établi à +1,1°C par rapport à la période 1850-1900. La concentration en CO2 dans l’atmosphère est au plus haut depuis au moins deux millions d’années.

Le changement climatique est «une menace au bien-être de l’humanité et de la planète»

Et «la fenêtre d’action pour garantir un avenir vivable et durable pour tous se referme rapidement», avertit le Giec. Entre 3,3 et 3,6 milliards d’individus sont dans une situation de «forte vulnérabilité» au changement climatique. Celui-ci affecte notamment la sécurité alimentaire et hydrique : près de la moitié de l’humanité subit des pénuries d’eau pendant au moins une partie de l’année.

Les épisodes extrêmes (vagues de chaleur, fortes précipitations, sécheresses, tempêtes tropicales etc) vont se multiplier et s’accentuer en raison des dérèglements du climat. Ce qui aura des effets durables sur la santé physique et mentale des personnes touchées et déplacer un nombre croissant d’individus dans l’ensemble des régions du monde, en particulier dans les petits États insulaires. Les populations les moins responsables du changement climatique sont touchées de manière disproportionnée par ses effets.

Le changement climatique a déjà provoqué des dégâts généralisés, et pour certains irréversibles

Et ce, dans l’atmosphère, les océans, la cryosphère (là où l’eau est à l’état solide) et la biosphère. L’océan s’est élevé de 20 centimètres entre 1901 et 2018. La hausse de la température a fait disparaître des centaines d’espèces et provoque des épisodes de mortalité massive à la fois sur Terre et dans les océans. Le risque d’extinction d’espèces ou de perte irréversible de biodiversité dans des écosystèmes variés, dont les forêts, les récifs coralliens et l’Arctique augmente en même temps que le réchauffement. Les écosystèmes et les sociétés humaines sont complètement interdépendantes, rappelle le Giec.

L’adaptation aux changements climatiques a progressé mais doit encore être largement renforcée

Les politiques d’adaptation, qui visent à réduire la vulnérabilité des populations au climat, ont prouvé leur efficacité. Le développement de l’agroforesterie et de l’agroécologie, la diversification des cultures, la restauration des zones humides ou encore le verdissement des villes sont des exemples de stratégies d’adaptation efficaces. Mais ces politiques demeurent fragmentées et inégalement mises en œuvre. Les principaux obstacles à leur développement sont le manque de ressources, notamment financières, ou encore l’absence d’engagement politique, citoyen ou du secteur privé.

Le Giec alerte sur les risques de maladaptation, c’est-à-dire les mauvaises solutions d’adaptation qui ont pour conséquence d’aggraver le changement climatique. C’est par exemple le cas de la climatisation, qui vise à mieux supporter les vagues de chaleur, mais qui génère des gaz à effet de serre et consomme beaucoup d’électricité. Pour éviter cet écueil, les auteur·ices du rapport insistent sur l’importance d’«une planification et une mise en œuvre flexibles, multisectorielles, inclusives et à long terme des mesures d’adaptation».

Le réchauffement climatique risque fort de dépasser 1,5°C

Signé en 2015 par la quasi-totalité des pays, l’Accord de Paris vise à contenir le réchauffement climatique «bien en dessous de 2°C» et si possible à 1,5°C en 2100 par rapport à l’ère préindustrielle. Or, les engagements des Etats, appelés «Contributions déterminées au niveau national» (CDN) annoncés en octobre 2021 placent le monde sur une trajectoire de réchauffement de +2,8°C. Par ailleurs, il y a un écart entre les engagements des États et les politiques réellement mises en œuvre. Celles-ci orientent le monde vers un réchauffement de +3,2°C à la fin du siècle.

«On va vers un monde plus chaud de 1,5°C d’ici 2030, probablement, explique à Vert Valérie Masson-Delmotte, co-présidente du groupe 1 du Giec qui a participé à la validation de cette synthèse. Pour limiter les pertes et dommages[les destructions irréparables liées au climat, NDLR] et les conséquences irréversibles à très long terme, la contrainte de réalité demande de tout faire en sorte pour limiter le réchauffement au niveau le plus proche de ça».

Chaque dixième de degré compte

Le réchauffement atteindra +1,4°C à la fin du siècle dans le scénario le plus optimiste, +2,7°C dans le scénario intermédiaire et +4,4°C dans le pire scénario. À chaque fois que le réchauffement s’accentue, les changements extrêmes s’amplifient également. Chaque dixième de degré en plus intensifie les risques liés, par exemple, au cycle de l’eau (les précipitations de la mousson et les sécheresses), les événements météorologiques extrêmes (vagues de chaleur, inondations, incendies, cyclones), l’élévation du niveau des mers et l’acidification de l’océan.

 

 

 

 

 

 

 

Des changements brutaux pourraient survenir

À mesure que la température du globe croît, la probabilité de changements abrupts et/ou irréversibles – appelés «points de bascule» – augmente, comme l’effondrement sans retour possible de la biodiversité, ou bien celui de la circulation méridienne de retournement de l’Atlantique (Amoc) – un ensemble de courants marins qui participent notamment à la régulation de la température mondiale.

Même si le réchauffement s’arrêtait aujourd’hui, l’élévation du niveau des mers se poursuivrait encore pendant des siècles, voire des millénaires. Avec un réchauffement de 2°C à 3°C, les calottes glaciaires du Groenland et de l’Antarctique occidental risquent de fondre entièrement. À cause de l’incertitude liée à leur comportement, la fonte des calottes glaciaires pourrait élever l’océan de deux mètres d’ici à 2100 et quinze mètres d’ici à 2300, dans un scénario d’émissions de gaz à effet de serre maximales, jugé «peu probable».

Il faut enterrer les fossiles

Le CO2 issu des énergies fossiles (pétrole, gaz et charbon), représente 79% du total mondial. À elles seules, les émissions des infrastructures fossiles déjà en activité suffisent à dépasser 1,5°C de réchauffement planétaire. Si on ajoute celles qui sont en projet, on dépassera les 2°C. Il faut donc réduire drastiquement leur usage, fermer de manière prématurée certaines infrastructures, et développer la capture et la séquestration de carbone sur celles qui restent en activité.

Bonne nouvelle : les énergies renouvelables sont de moins en moins chères. Il faudra aussi développer l’efficacité énergétique et la sobriété, en aidant les citoyens et les entreprises à faire des choix moins gourmands en énergie et en ressources.

L’indispensable neutralité carbone

Si l’humanité continue d’émettre autant que lors de l’année 2019 (59 milliards de tonnes de CO2eq), le budget carbone (soit la quantité à ne pas dépasser) pour rester sous 1,5°C sera atteint au cours de la décennie actuelle. Pour limiter le changement climatique, il faut que les émissions mondiales commencent enfin à baisser. Puis, il faudra atteindre le plus vite possible la neutralité carbone : l’équilibre entre les gaz à effet de serre émis par les activités humaines et ce que la planète peut absorber.

Pour y parvenir, il faut impérativement réduire les émissions à la source : outre, le CO2 des énergies fossiles et de la déforestation, il y a notamment le méthane, puissant gaz à effet de serre principalement dû à l’élevage et aux fuites de l’industrie fossile. Parmi les meilleures solutions pour absorber les gaz à effet de serre déjà relâchés : la reforestation et la protection des forêts, le stockage de CO2 dans les sols naturels, ou la restauration des tourbières. La compensation carbone par la technologie servira à éliminer les émissions «résiduelles» – trop difficiles à diminuer. Il faudra ensuite passer à des émissions négatives : stocker davantage de CO2 que ce que l’on émet.

Inclusion, équité et justice climatique sont indispensables

«Donner la priorité à l’équité, à la justice climatique, à la justice sociale, à l’inclusion et à des processus de transition justes»

favoriserait à la fois l’adaptation, la baisse des émissions et un développement humain résilient, notamment dans les régions et chez les personnes fortement vulnérables (souvent les plus marginalisées).

L’équité et l’inclusion «de tous les acteurs pertinents dans la prise de décision à toute échelle», permettrait également de créer une véritable «gouvernance climatique». Celle-ci serait forte de l’engagement de la société civile : politiques, entreprises, jeunes, travailleurs, médias, peuples autochtones et communautés locales.

L’argent est déjà là

Bonne nouvelle : au niveau mondial, l’argent pour financer l’atténuation et l’adaptation est déjà là, il faut juste le mettre au bon endroit. Les capitaux mondiaux sont suffisants pour combler les déficits d’investissement à l’échelle mondiale, mais il existe des «obstacles» à leur réorientation vers l’action pour le climat, note le Giec. Le renforcement de la coopération internationale est indispensable ; la mobilisation des ressources à destination des pays en développement, des régions et des groupes vulnérables est clef.

Selon Valérie Masson-Delmotte, le rapport montre qu’«il y a une capacité à agir tous azimuts» et que certaines options présentées ont des bénéfices multiples : les systèmes énergétiques bas-carbone peuvent être économiquement viables, et présentent des bénéfices pour la santé en améliorant notamment la qualité de l’air.

Les solutions sont connues, l’argent est déjà là. Ne reste que le plus gros chantier : transmettre les enseignements des rapports du Giec au plus grand nombre afin d’entamer l’indispensable bascule de nos sociétés à l’heure de l’urgence climatique.

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