En Méditerranée, alors que les canicules marines battent depuis plusieurs années des records et entraînent une destruction accélérée des écosystèmes marins, l’État refuse de créer de véritables aires marines protégées pour accroître la résilience de l’océan et s’assurer de sa protection effective avec des contrôles et sanctions en cas de pêche illégale. Ainsi, un braconnier multirécidiviste interpellé à dix reprises depuis 2005 poursuit tranquillement son activité de pêche au sein du parc national des Calanques, bénéficiant de la connivence de l’administration française qui n’a toujours pas pris de sanction à son égard et qui est allée, lors de son procès, jusqu’à prendre sa défense !Face à l’incurie manifeste de l’administration, BLOOM demande au gouvernement de rendre publiques les données des contrôles effectués sur la flotte de pêche française en Méditerranée ainsi que les sanctions attribuées.Cette complicité de l’État avec les fraudeurs n’a pas uniquement des conséquences environnementales dramatiques, elle punit et démotive aussi profondément les pêcheurs qui s’efforcent de respecter la loi. Lorsque le garant de l’État de droit et de la justice donne une prime aux tricheurs en adoubant leurs méfaits, c’est l’ensemble de l’éthique d’une profession qui est entraînée dans la chute de l’éthique étatique.
En novembre 2022, un chalutier est interpellé alors qu’il opère dans le Parc National des Calanques à moins de trois milles nautiques des côtes, zone normalement fermée au chalutage. Pris en flagrant délit [1] avec 146,7 kg de poisson pêché illégalement, c’est la dixième fois qu’il est interpellé par la gendarmerie maritime pour des faits similaires.
Ce pêcheur professionnel avec 40 ans de métier sait très bien qu’à cette période, la daurade royale est en pleine période de reproduction, et donc particulièrement vulnérable. Habitué de la mer, le pêcheur se place sur le couloir de migration du poisson, zone protégée spécifiquement pour éviter ce type de braconnage, et en capture un nombre effarant en très peu de temps. Au-delà du fort impact de ce prélèvement sur l’espèce et sur l’équilibre de l’écosystème, la méthode utilisée – le chalut de fond – est l’une des plus impactantes pour les fonds marins.
En juin 2023, lors de son procès pour lequel le Parc national des Calanques et des associations environnementales [2] se sont constitués partie civile, le braconnier usait d’arguments de mauvaise foi pour se défendre en juin 2023 devant le Tribunal Correctionnel de Marseille [3]. Il osait avancer : « Je ne me suis pas caché. Je me pensais dans mon bon droit », alors même qu’il n’est pas sans savoir, en tant que pêcheur professionnel, qu’il est interdit de chaluter partout en France dans la bande des trois milles nautiques [4], en dehors de certaines zones soumises à des dérogations exceptionnelles. Une interdiction dont il est pleinement conscient, ayant lui-même bénéficié d’une telle dérogation exceptionnelle pour pouvoir chaluter dans la zone située au-delà des 3 milles nautiques au cœur du parc marin [5].
Le chalutage interdit ou non ? La preuve par l’exemple de l’inefficacité de la très alambiquée protection « à la française »
Le Parc national des Calanques est-il protégé ou non ? Les méthodes de pêche à fort impact environnemental tel que le chalutage de fond sont-elles, oui ou non, autorisées dans les parcs marins français ?
La réponse est aussi alambiquée que le régime de protection française : parfois oui, parfois non. La France ne dispose d’aucune « aire marine protégée » répondant aux critères internationaux établis par l’UICN (voir l’annexe « Pour aller plus loin »). « En France, il n’existe pas de zone protégée statutairement », explique Swann Bommier, chargé du plaidoyer chez BLOOM. « Lorsqu’une fraction de parc ou de réserve est réellement protégée, c’est par le fruit d’une volonté spécifique, d’une série d’arrêtés, de décrets ou de décisions imprévisibles, absolument pas par la vertu d’un processus stable et de catégories de protection claires. Bienvenue dans le monde de la protection ‘à la française’ ! ».
Il ressort de cette complexité administrative une grande inefficacité pour tous : des parcs difficiles à gérer pour les autorités compétentes, une absence de bénéfices écologiques pour les écosystèmes marins, une non-régénération de la biomasse de poisson, et donc une absence de retombées économiques pour les pêcheurs… Le mille-feuille de la protection marine au sein du Parc national des Calanques n’échappe pas à la règle kafkaïenne créée par la France par excès de complaisance envers le secteur de la pêche : zone de non-prélèvement en mer, zone de protection renforcée, cœur marin, aire maritime adjacente, zone côtière des trois milles… ce sont plus de sept régimes de protection qui s’appliquent dans un espace restreint ! (voir l’annexe « Pour aller plus loin »)
« Le système inefficace voulu par l’État français pour protéger le chalutage de fond au sein des zones dites ‘protégées’ est un système perdant-perdant qui génère en outre de nombreuses frustrations » ajoute Swann Bommier. En effet, cet imbroglio administratif inutile et inefficace frustre autant les ONG que les agents de protection de la nature et les gestionnaires de parcs. Le Parc national des Calanques s’est d’ailleurs constitué partie civile dans cette affaire des récidives de fraudes.
Les fraudes facilitées par une absence de contrôles
Lors de son procès, les multiples récidives du pêcheur incriminé étaient mises en avant : 2005, 2010, 2011, 2013, 2014, 2015, 2020, 2022. Face à l’évidence, le pêcheur se défendait de ne pas avoir braconné depuis plus de deux ans. Ce à quoi le vice-procureur de Marseille rétorquait que si la liste de ses infractions n’était pas plus longue, c’était simplement parce qu’il n’avait pas été pris en flagrant délit plus souvent. Car, avec 0,4 contrôles en mer par navire en Méditerranée sur l’année 2022 [6], la probabilité d’être contrôlé pour pêche illégale est aujourd’hui proche du néant.
Face à la gravité des faits reprochés, avec des « coups de filets à 2, 3, 4, 7.000€ » qui détruisent en toute illégalité des écosystèmes marins riches en biodiversité, la réquisition du procureur contre le braconnier était de 40.000€ d’amende et une suspension de sa licence de pêche durant quatre ans. Finalement condamné par le tribunal judiciaire de Marseille à 15 000 € d’amende et à une suspension de sa licence de pêche durant un an, ce chalutier poursuit néanmoins aujourd’hui encore ses activités. Et pour cause, ayant fait appel, ces sanctions ne s’appliqueront pas jusqu’à ce que la Cour d’Appel ait statué.
Ce jeu du chat et de la souris se poursuit ainsi depuis plus de 15 ans. Mais, plus encore que le manque de contrôle, c’est le silence de l’administration publique qui interroge.
La complaisance de l’administration française vis-à-vis de la pêche illégale dans les aires marines protégées de Méditerranée
En cas d’infractions, et en sus de poursuites au pénal, les autorités administratives disposent d’un an après la constatation des faits pour prononcer des sanctions – amendes, suspension de licence de pêche, annulation des dérogations [7].
Mais, plus de sept mois après les faits, qu’a fait l’administration française pour mettre fin à ces fraudes ? Rien. Au contraire, devant le Tribunal Correctionnel de Marseille, les autorités administratives tentaient de justifier les agissements délictuels du pêcheur en avançant que « certains ne comprennent pas qu’il y ait une telle ressource qui ne leur soit pas accessible. Ils vivent dans le passé avec des pratiques d’une autre époque où les questions environnementales étaient moins prégnantes ».
Cet épisode n’était pas isolé : quelques mois plus tôt, la Direction départementale des territoires et de la mer (DDTM) avait produit, sur demande du pêcheur braconnier multirécidiviste, un « avis consultatif » favorable pour que celui-ci bénéficie d’une dérogation lui permettant de chaluter dans la zone des trois milles, contre les multiples avis produits par l’IREMER. Un « avis consultatif » jamais entériné, mais évoqué par l’avocat du braconnier lors de son procès, qui témoigne d’une complaisance inquiétante de l’administration publique vis-à-vis de pêcheurs déterminés à chaluter le long des côtes et jusqu’au sein des quelques rares zones effectivement protégées des ravages de la pêche industrielle.
Déterminés à mettre fin à la complaisance des pouvoirs publics vis-à-vis des braconniers pratiquant la pêche illégale en Méditerranée, BLOOM dépose aujourd’hui une demande d’accès à l’information afin de lever le voile sur les contrôles effectués par les pouvoirs publics et sur les sanctions prises par l’administration contre la pêche illégale.
[1] Le Marin, Un chalutier marseillais pris en flagrant délit de pêche en zone interdite, 5 décembre 2022
[2] France Nature Environnement (FNE) Bouches du Rhône et Paca, Ligue de protection des oiseaux (LPO), ASPAS.
[3] La Provence, Condamné pour braconnage, le patron de l’un des 2 derniers chalutiers de Marseille interdit de pêche, 3 juin 2023
[4] L’usage des filets remorqués tels que le chalutage de fond est interdit partout en France le long des côtes à moins de trois milles nautiques en vertu de l’article D.922-16 du Code rural et de la pêche maritime. Voir https://www.legifrance.gouv.
[5] Lors de la création du parc des Calanques, cinq pêcheurs opérant sur la zone depuis de nombreuses années avaient bénéficié d’un principe d’antériorité pour ne pas mettre en danger leur activité dans une optique de conciliation des différents enjeux présents sur le site. Ils ne sont aujourd’hui plus que deux à être encore en activité, le second ayant également été interpellé pour braconnage.
[6] Donnée provenant de https://www.data.gouv.fr/fr/
[7] Selon l’article L.946-4 du Code rural et de la pêche maritime, les amendes prévues aux articles L.946-1 à L.946-3 sont proportionnées à la gravité des faits constatés et tiennent compte notamment de la valeur du préjudice causé aux ressources halieutiques et au milieu marin concerné.
Voir le rapport de BLOOM, Les aires marines protégées françaises, un réseau de coquilles vides verrouillé par l’État et les représentants de la pêche industrielle, 2023.
Source : Press & Consultant