En ce beau mois de février, les pays signataires de la Convention de Bonn, dont la France, se sont engagés à améliorer l’état des espèces migratrices avant 2032. Et tous, dont la France, de se réjouir des engagements pris. Qui peut se réjouir des engagements pris lors d’une 14ème COP quand les 13 premières n’ont pas atteint leur but ? Vous me direz la communication positive est l’une des finalités des COP internationales, comme on l’a vu pour le Climat.
Car l’ONU tire à nouveau la sonnette d’alarme : une espèce migratrice sur deux est en déclin. On n’y peut rien ? Laissez-moi vous conter le destin tragique de la tourterelle des bois, espèce migratrice inscrite sur la liste rouge mondiale de l’UICN. Une véritable tragédie grecque, à l’inverse du sort de sa cousine la tourterelle turque, qui témoigne non pas de la passivité de la France, mais de son acharnement à détruire le vivant.
La tourterelle des bois passe seulement le tiers de l’année sur son site de reproduction, en Europe, de fin avril à début septembre, avant de migrer en Afrique. Les ornithologues pas si vieux que ça, dont moi-même, nous souvenons qu’il était fréquent d’observer des tourterelles des bois dans nos vergers. Tête gris bleu, côtés du cou avec des raies blanches et noires sur plusieurs rangées, plumes du dessus de l’aile maillées de brun-roux, poitrine rosée, queue foncée avec des bords blancs, ailes longues et pointues… C’est, ou plutôt c’était, l’élégance personnifiée.
C’était l’élégance personnifiée, car la chute de cette espèce est vertigineuse : à l’échelle des 40 dernières années, le déclin de la population s’élève entre 60 et 80%. Entre 2001 et 2019 seulement, elle a perdu 50 % de ses effectifs. Certes les causes sont multiples, mais l’agriculture intensive et son lot de destruction des haies et bocages que cet oiseau affectionne figure au hit-parade. Juste devant la chasse qui, chose incroyable, a été autorisée en France jusqu’à la saison 2019/2020. Ce n’est que depuis 3 ans qu’elle peut traverser le ciel de notre douce France sans se faire plomber. Parce que l’Etat et les chasseurs ont enfin entendu raison pensez-vous ? Mais non, naïfs que vous êtes : c’est une nouvelle fois la LPO qui a obtenu gain de cause devant le Conseil d’Etat plus haute juridiction française. Après un combat homérique qui témoigne de l’acharnement du gouvernement français à accompagner la destruction de son patrimoine vivant.
Jugez plutôt.
Des années 80 aux années 2000, la LPO son Président Allain Bougrain Dubourg en tête, se sont battus chaque printemps dans le Médoc pour dénoncer la chasse des tourterelles des bois en migration, pratique totalement interdite mais tolérée par l’Etat français. Ce n’est qu’en 2001, qu’un Préfet plus courageux que les autres a sifflé la fin de la récré.
Mais il était bien sûr toujours possible de la chasser pendant les périodes d’ouverture. C’est-à-dire lors de sa migration automnale vers l’Afrique subsaharienne. Les derniers « prélèvements » (qu’en termes élégants le verbe tuer est décliné…) connus datent de la saison 2013-2014. Il s’agit d’une estimation ponctuelle et au doigt mouillé réalisé par l’ONCFS de l’époque, puisque les chasseurs français refusaient et refusent toujours de communiquer leurs tableaux de chasse. Entre 45.000 et 137.000 tourterelles des bois ont été plombées en France cette seule année. Vous me direz ce n’est rien au regard des 800.000 flinguées en Espagne. S’il en reste après ce tir de barrage, c’est au Maroc qu’elles se font massacrer en grand nombre, y compris dans le cadre de « chasses commerciales ». Nous y reviendrons.
En 2017, après des rencontres avec le Président de la Fédération Nationale des Chasseurs, Sébastien Lecornu, alors Secrétaire d’Etat en charge de la biodiversité, promeut le principe de « gestion adaptative ». L’objectif est d’autoriser des quotas de tirs d’espèces y compris en mauvais état de conservation. En infraction manifeste avec la Directive européenne sur les oiseaux qui exige des pays membres qu’ils ne chassent que les oiseaux en bon état de conservation. La France se retrouvera à la porte de la Cour de Justice de l’Union Européenne pour cette raison, et quelques autres.
Le ministère de l’Ecologie met en place un groupe d’experts de la gestion adaptative (CEGA) composé de scientifiques chargés de déterminer les quotas possibles pour chaque espèce. Quelles espèces ? Celles qui sont déjà en mauvais état de conservation comme en témoigne la liste qui leur est soumise : tourterelle des bois, barge à queue noire, courlis cendré, grand tétras… Toutes des espèces dont la chasse a été suspendue par les tribunaux compétents.
Concernant la tourterelle des bois, l’avis des experts en date du 13 mai 2019 est formel : c’est un quota à zéro. La réponse ne satisfait pas la nouvelle Secrétaire d’Etat normalement chargée de la biodiversité, Emmanuelle Wargon qui leur répond : « bon d’accord, mais si on devait quand même en chasser, quel serait le quota sans qu’on puisse accuser la chasse d’être responsable ». Et les experts, bien trop gentils, d’avancer le chiffre de 1,3% des effectifs nicheurs estimés en France, soit 18.300 oiseaux. Que croyez-vous que fit la Ministre ?
Le 3 juillet 2019 elle mit à la consultation publique un projet d’arrêté prévoyant d’autoriser la chasse de 30.000 tourterelles des bois ! Près du double du chiffre obtenu sous la contrainte. Même les scientifiques, par nature raisonnables, s’en sont émus : « Nous n’accepterons pas de continuer à travailler si le comité d’expert continue sous cette forme et sert d’outil politique pour faire accepter des décisions sans fondement scientifique ». Du reste, ce même Comité des experts de la gestion adaptative finira par imploser quelques mois plus tard d’indigestion, pour avoir avalé trop de couleuvres.
Le 30 août 2019 la ministre Emmanuelle Wargon revoit sa copie à la baisse en autorisant la chasse de 18.000 tourterelles des bois pour la saison 2019-2020. Pourquoi le 30 août ? Parce que c’est la veille de l’ouverture de sa chasse ! Les différents ministres utilisent souvent ce stratagème pour permettre la chasse, même manifestement illégale, le temps que les ONG saisissent la justice et obtiennent gain de cause. Même une demande de suspension par un référé peut mettre plusieurs semaines.
Le 31 août 2021 (encore la veille de l’ouverture, rebelote), l’Etat récidive avec un même quota fixé pour la nouvelle saison de chasse.
Saisi par la LPO, le Conseil d’État a suspendu ces deux arrêtés au motif que l’état des populations « aurait dû conduire le gouvernement à interdire la chasse à la tourterelle des bois, et non à réduire proportionnellement le quota maximal de prélèvements ».
Ce n’est qu’à partir de la saison 2021-2023 que le ministère prendra enfin, le couteau sous la gorge, un arrêté de suspension permettant d’arrêter ce massacre. Pour un an seulement ! Arrêté repris la saison 2023-2024 au grand dam des chasseurs, « premiers écologistes de France » qui n’ont toujours pas compris, ni digéré.
Là vous respirez un grand coup et vous vous détendez ? Vous avez tort !
Puisqu’on ne peut plus zigouiller ce bel oiseau en danger de disparition lorsqu’il traverse la France, nos nemrods prennent l’avion pour aller le dézinguer sur son lieu d’hivernage… au Maroc !
Voici quelques agences qui vous concocteront un séjour mémorable. Cliquez sur les liens vous n’allez pas être déçus :
https://www.univers-chasse-peche.com/produit/tourterelles-au-maroc/
https://www.chassatlas.com/chasse-au-maroc
Alertés par la LPO dès 2021 0716 YV_Sous_Direction_Tourisme_Bercy_tourisme_destructeur.pdf, Bercy, les ministères de tourisme et celui de l’Ecologie, ainsi que l’ambassadeur du Maroc en France et plusieurs organismes touristiques n’ont pas levé le petit doigt, ni bougé une oreille.
Aller pratiquer une activité illégale en France dans d’autres pays comment ça s’appelle ? Du tourisme écocide. Bien tristement, Yves VERILHAC (https://www.youtube.com/channel/UCNjHlSraXGd-yt0RWZdWUFA)
Photo
: Jean-Luc Pinaud