BLOOM, Eau & Rivières de Bretagne et Pleine Mer bravent le lobby du chalut dans le Sud de la Bretagne

Face au refus du Conseil régional de Bretagne d’insuffler une nouvelle vision pour protéger la pêche artisanale et les écosystèmes marins autour des îles de Houat et Hoëdic, BLOOM, Eau & Rivières de Bretagne et Pleine Mer entament aujourd’hui une procédure formelle pour obtenir l’interdiction du chalutage dans la bande côtière des trois milles marins (environ 5,5 km) autour de ces îles à la biodiversité exceptionnelle. Alors que les responsables politiques et les élus régionaux ignorent les recommandations scientifiques en laissant la pêche au chalut ravager les écosystèmes ultra côtiers et les aires marines supposément « protégées » et rechignent à mettre en œuvre le « Plan d’action pour l’océan » de la Commission européenne, les associations se voient contraintes d’emprunter la voie judiciaire pour obtenir des mesures concrètes de sauvegarde des écosystèmes et des derniers pêcheurs artisans de Houat et Hoëdic, confrontés au rouleau compresseur du lobby du chalut.

« De la mer nous vivons ». Telle est la devise de Houat. Dans les années 1980, 47 navires de pêche étaient en activité à Houat, employant plus de 90 personnes. Aujourd’hui, il ne reste plus que sept navires et douze pêcheurs. Si les causes de ce déclin de l’activité de pêche sont multiples, élus et pêcheurs de Houat et Hoëdic pointent unanimement la responsabilité des chalutiers qui, grâce à une dérogation datant de 1956, jamais remise en cause en dépit des législations successives visant à protéger les écosystèmes côtiers des ravages de la pêche industrielle, viennent traîner leurs filets jusqu’au ras des îles, dans une zone classée Natura 2000.

Pour Charles Braine, président de Pleine Mer : « Il est inconcevable qu’une dérogation de près de 70 ans permettant à quelques navires de s’approprier la ressource perdure au détriment des pêcheurs artisans de Houat et Hoëdic qui pratiquent, eux, une réelle pêche durable ».

La classification Natura 2000 relève d’une législation européenne et regroupe un large réseau de zones naturelles présentant un intérêt particulier pour la faune et la flore qu’elles abritent. La zone Natura 2000 « Îles Houat-Hoëdic », établie en 2004, se justifie ainsi par la présence d’habitats très diversifiés et à forte valeur écologique, dont notamment des bancs de maërl (une algue calcaire formant des récifs similaires à des coraux) qui abritent une importante biodiversité marine.

Pour Christophe Le Visage, vice-président d’Eau & Rivières de Bretagne, « La zone des trois milles est la plus riche en termes de biodiversité, et elle est très importante dans le cycle de vie d’une grande partie des poissons. Il est vital de la protéger des pollutions terrestres, mais aussi des activités de pêche qui ont des impacts importants sur les habitats marins, comme le chalutage. Pour cela, appliquons la réglementation plutôt que maintenir des dérogations injustifiées ».

Figure 1 : Les habitats marins du site Natura 2000 « Iles de Houat-Hoëdic » (OFB (2023), Diagnostic écologique du Document d’objectifs « Îles d’Houat-Hoëdic »).

Un projet de « ceinture bleue  » à Houat et Hoëdic 

Depuis des années, les maires de Houat et Hoëdic et le député du Morbihan Jimmy Pahun portent un projet de « ceinture bleue » pour faire annuler la dérogation vieille de plus d’un demi-siècle de façon à interdire une fois pour toutes le chalutage aux abords des îles. Cette initiative s’appuie sur la législation en vigueur en France qui consiste, en théorie, à interdire tout chalutage dans la bande côtière des trois milles nautiques.

L’enjeu est double : protéger les écosystèmes marins côtiers au sein de la zone Natura 2000 et préserver une activité de pêche artisanale respectueuse du milieu marin et pourvoyeuse d’emplois. Une décision de justice allant dans ce sens a d’ailleurs été obtenue en avril 2023 par l’association « Défense des milieux aquatiques » auprès de la Cour administrative d’appel de Bordeaux : celle-ci a annulé la dérogation faite au chalutage dans la bande côtière des trois milles au sein de la zone Natura 2000 « Bassin d’Arcachon et Cap Ferret ».

Le recours de BLOOM, Eau & Rivières de Bretagne et Pleine Mer vise à aligner la réglementation de la pêche sur le régime juridique national et sur les objectifs européens détaillés dans le « Plan d’action pour l’océan » de la Commission européenne qui cherche à protéger réellement les zones côtières et les aires marines européennes dites « protégées ». En outre, la procédure initiée par BLOOM tient compte des recommandations scientifiques émanant du bilan de performance des pêches (« Changer de cap ») établi par le groupement de recherche sur la transition des pêches initié par BLOOM et plaidant pour une modification en profondeur des choix publics pour atteindre la rationalité sociale, écologique et économique.

Le Conseil régional de Bretagne tourne le dos aux pêcheurs artisans  

Lors de la session du 16 février 2024 du Conseil régional de Bretagne, le groupe des écologistes avait porté, avec le soutien des élus de Houat et Hoëdic, un projet de résolution pour que la région se prononce en faveur de cette « ceinture bleue », mais le vœu a été rejeté au prétexte que le combat des élus et des pêcheurs artisans pour protéger les eaux côtières du chalutage de fond équivalait à vouloir « privatiser la mer » (1), selon les termes employés par le vice-président « Mer et Littoral » de la région Bretagne, l’élu Daniel Cueff (groupe « Bretagne Ma Vie »). Le président de la région Bretagne Loïg Chesnais-Girard (en « retrait » du PS, membre du « Groupe Social-Démocrate de Bretagne ») a également dénigré la démarche des élus de Houat et Hoëdic, du député du Morbihan et des pêcheurs artisans en assimilant leur mobilisation à une démarche illégitime où « chacun y va de son entregent  » pour éviter « la concertation avec tous les acteurs  » et « obtenir un changement de la loi à Paris » (2).

Pour Swann Bommier, responsable du plaidoyer chez BLOOM, « tous les indicateurs sont dans le rouge. On a changé d’époque, l’heure est grave. Les dirigeants politiques doivent prendre leurs responsabilités et être les garants de l’intérêt général. Ils devraient prendre les avis scientifiques pour ce qu’ils sont en train de devenir : des alertes à l’humanité. Quand les solutions permettent de gagner sur tous les tableaux, en conciliant protection de l’environnement, de l’emploi et des finances publiques, il est inconcevable de ne pas les mettre en œuvre. La protection des écosystèmes et la transition sociale et écologique de la pêche se feront, avec ou sans eux. Ça irait plus vite si c’était avec eux. Avis à bon entendeur. »

Ces déclarations ont créé l’émoi étant donné que la « concertation de tous les acteurs » que le président de région Loïg Chesnais-Girard appelle de ses vœux a bien eu lieu, à Quiberon notamment, mais a donné l’occasion au lobby du chalut de déployer des méthodes d’intimidation contraires à l’esprit démocratique, comme le relate Le Monde dans son article du 25 janvier 2024 (3). Face à ce refus du Conseil régional de Bretagne de concilier protection des écosystèmes marins et transition du secteur de la pêche, nous demandons donc à l’État, compétent pour règlementer la pêche dans les trois milles marins, de prendre ses responsabilités et d’abroger les dérogations prises qui permettent ce non-sens.

La crainte des représailles face au lobby du chalut  

Loin de constituer un cas isolé, l’issue mouvementée de la réunion d’information qui eut lieu à Quiberon illustre le refus invariable des chalutiers à se voir fermer certaines zones. Il y a un an, les manifestations de pêcheurs, à l’origine pensées comme un mouvement de contestation interne au secteur et dont le mot de ralliement était la demande de la démission du Président du Comité national des pêches Olivier le Nézet, ont été récupérées par ce même Comité pour le transformer en mouvement d’opposition à l’arrêté dauphins du Conseil d’État et à la proposition de la Commission européenne d’interdire le chalutage au sein des aires marines protégées. Cette manipulation de la colère des pêcheurs avait abouti à l’incendie du bâtiment de l’Office français de la biodiversité à Brest.

Les coups de force des chalutiers et des lobbies industriels qui tiennent le secteur de la pêche en France, que le président de la région Bretagne feint d’ignorer en appelant à « la concertation de tous les acteurs  », suscitent la crainte des pêcheurs artisans partout en France, ces derniers craignant des représailles multiples sur leurs activités et leurs financements. Le secteur de la pêche fonctionne trop souvent sur un régime de terreur et d’omerta, impropre à assurer la conduite mieux-disante des activités de pêche, qui, rappelons-le, sont des activités de cueillette de ressources communes effectuées dans un espace commun. Le secteur de la pêche devrait donc au contraire être exemplaire de transparence et exercer ses activités sous le contrôle d’une gouvernance citoyenne : à Houat, cette gouvernance souhaite renforcer la protection, et il est temps d’en prendre acte.

En finir avec le règne des chalutiers 

Cette emprise du lobby du chalut sur la décision publique et les politiques de protection de l’environnement n’est pas sans conséquences : il aura fallu attendre près de vingt ans pour que le document détaillant les objectifs de protection au sein de la zone Natura 2000 « Îles Houat-Hoëdic » soit publié, sans que l’on sache encore quelles mesures seront prises par l’État pour protéger les écosystèmes face aux impacts de la pêche chalutière.

Dans ce climat d’omerta, BLOOM, Eau & Rivières de Bretagne et Pleine Mer engagent une action en justice pour que l’État interdise le chalutage dans les trois milles nautiques autour des îles de Houat et Hoëdic et s’assurer que la législation nationale prévoyant une telle interdiction prévale sur les intérêts d’une flotte de chalutiers qui se considère hors d’atteinte, aux dépens de la biodiversité, des emplois, et de la transition sociale et écologique de la pêche.

Notes

(1) : « Ce coin de Houat et Hoëdic est regardé de très près par la région Bretagne et nous adorons ce territoire, nous soutenons ces îles, nous soutenons les élus qui aujourd’hui s’impliquent autour de cette ceinture bleue. Nous sommes confrontés à deux visions sur ce territoire. Une vision qui est de dire : on est ici chez nous, nous allons faire la pêche que nous souhaitons, nous souhaitons privatiser un peu cette ceinture bleue. (…) Donc vous proposez à la ceinture bleue de rajouter des bretelles vertes, nous refusons votre vœu  ». Daniel Cueff, Session du Conseil régional de Bretagne, 16 février 2024, à partir de 2min10sec.

(2) : « Merci à vous, ce vœu est rejeté. Je redis encore une fois que l’ambition est bien d’aller vers le souhait des élus locaux de Houat et Hoëdic, mais de le faire avec concertation de tous les acteurs. (…) C’est pas la même démarche que d’obtenir un changement de la loi à Paris pour empêcher tel ou tel d’agir sur son territoire ou obtenir telle ou telle modification de règle. C’est pas le même état d’esprit, et je pense que l’acceptation ensuite n’est pas du tout la même. Parce que chacun y va de son entregent et de sa capacité à faire bouger les règles nationales pour se donner telle ou telle capacité supplémentaire  ». Loïg Chesnais-Girard, Session du Conseil régional de Bretagne, 16 février 2024, à partir de 10min40sec.

(3) : « Lors d’une réunion d’information à Quiberon, les patrons des chalutiers sont venus exprimer leur mécontentement face à toute éventualité de limitation leur activité, si vigoureusement que Jimmy Pahun avait dû être exfiltré par une porte discrète  ». Le Monde, 24 février 2024, En Bretagne, sur l’île de Houat, le projet d’une autre pêche, plus « douce ».