BLOOM et ClientEarth s’attaquent au chalutage dans les aires marines « protégées » de Méditerranée

En Méditerranée, la France autorise dans ses aires marines dites « protégées » des méthodes de pêche hautement destructrices, telles que le chalutage de fond, malgré une interdiction au niveau européen. Alors que la France accueillera dans un an, à Nice, sur les rives de la Méditerranée, la troisième conférence des Nations unies sur l’océan, les deux associations de défense de l’environnement BLOOM et ClientEarth sonnent l’alarme et entament une procédure juridique pour que la France respecte enfin le droit européen en vigueur concernant la protection de la Méditerranée.

Afin de protéger et restaurer les habitats les plus fragiles de Méditerranée, essentiels au maintien de la biodiversité marine, l’Union européenne a adopté en 2006 un règlement pour interdire les méthodes de pêche susceptibles d’endommager les habitats marins. Ce règlement est d’une importance vitale dans la mesure où près de 60% des populations de poissons de la Méditerranée sont surexploitées, et où les écosystèmes marins de la Grande Mer sont dans un état catastrophique, avec 95% des aires marines protégées (AMP) qui ne sont pas plus réglementées que les eaux adjacentes.

Le chalutage de fond, une catastrophe écologique, économique et sociale 

Face à l’effondrement de la biodiversité, et conformément aux recommandations de l’Union Internationale pour la Conservation de la Nature et de la communauté scientifique, le règlement européen sur la protection de la Méditerranée interdit le chalutage de fond, le chalutage pélagique, la senne coulissante ou encore la drague dans l’ensemble des AMP abritant certains habitats vulnérables. (1)

En effet, ces techniques de pêche ont un impact dévastateur sur la biodiversité marine, à l’instar du chalutage de fond, considéré comme la pire technique de pêche, qui consiste à racler les fonds marins à l’aide de filets lestés qui détruisent tout sur leur passage. De fait, en 100 ans, les herbiers de posidonies ont perdu 10% de surface dans l’ensemble du bassin méditerranéen, principalement en raison des impacts physiques des activités humaines.

En outre, les chalutiers et senneurs industriels affichent un bilanéconomique et social catastrophique : pour un même volume débarqué, ils créent deux fois moins de valeur ajoutée, deux à trois fois moins d’emplois et sont trois à quatre fois moins rentables que la petite pêche artisanale.

Contrairement au cadre réglementaire européen, la France refuse de mettre en œuvre ces interdictions et continue d’autoriser les pratiques les plus destructrices par le biais de différents arrêtés et actes dérogatoires au sein même de ses aires marines dites « protégées ». 

Ainsi, des lieux emblématiques tels que le parc national des Calanques, le Plateau du Cap Corse, le Cap d’Agde, ou encore la Côte bleue marine, au large de Martigues, sont aujourd’hui en danger.

Avec seulement 0,09% des eaux françaises de Méditerranée réellement protégées de toute forme d’activité extractive, ces aires marines « protégées »  sont inefficaces, et n’ont d’autre ambition que de gonfler artificiellement l’étendue de nos eaux prétendument protégées, sans qu’aucune réelle réglementation nationale ne garantisse la préservation des habitats vulnérables.

La France doit mettre fin à l’hypocrisie des aires marines protégées de papier

La France, qui a proclamé 2024 comme « Année de la mer », est tenue de respecter strictement les textes européens en matière de sauvegarde des aires marines protégées. Pourtant, le Secrétaire d’État à la Mer Hervé Berville a déclaré au Sénat le 8 mars 2023 que la France était « totalement, clairement, et fermement » opposée à l’interdiction du chalutage de fond dans les AMP françaises.

Cette prise de position, qui a mis en lumière la politique de protection « à la française » des écosystèmes marins, n’a pas manqué d’être pointée du doigt par la communauté scientifique internationale qui a souligné dans la prestigieuse revue scientifique Nature « l’hypocrisie qui menace les océans du monde » et la position de la France qui « s’oppose à une mesure visant à exclure des zones marines protégées de l’Union européenne une pratique de pêche destructrice, le chalutage de fond ».

De plus, comme l’a révélé le Financial Times, le gouvernement français, épaulé par le lobby du chalut, n’hésite pas à faire pression sur la Commission européenne pour que le Royaume-Uni renonce à interdire le chalutage dans certaines de ses AMP, allant jusqu’à former une coalition de huit Etats européens pour bloquer la tentative de protection décrétée par nos voisins britanniques.

A contrario, la Grèce montre l’exemple en termes de sauvegarde des AMP : s’appuyant sur les recommandations scientifiques et le cadre européen, le gouvernement grec a annoncé en avril dernier l’interdiction d’ici 2030 du chalutage de fond dans l’ensemble de ses aires marines protégées.

Une action juridique pour faire prévaloir le droit européen 

Alors que la France s’apprête à accueillir en juin 2025 à Nice sur les rives de la Méditerranée la troisième conférence des Nations unies sur l’océan, les associations BLOOM et ClientEarth entament donc une procédure juridique contre celle-ci afin qu’elle se conforme au règlement adopté par l’Union européenne en 2006.

BLOOM et ClientEarth demandent la modification de trois décrets autorisant implicitement et à tort l’usage du chalut, de la drague et de la senne dans les AMP françaises de la Méditerranée désignées au titre de la protection des prairies sous-marines, des coraux et des bancs de maërl afin de garantir une protection efficace de ces habitats hautement stratégiques pour la bonne santé des écosystèmes marins.  

D’après Nils Courcy, juriste à ClientEarth : « Le simple fait que la France autorise des chalutiers à pêcher dans des aires protégées qui devraient être fermées au chalutage est une hérésie. Le cadre légal européen n’est pas respecté. L’interprétation qu’en fait la France est contraire à la lettre et à l’esprit des textes et bafoue les grands principes environnementaux européens. À un an de la conférence des Nations Unies sur les Océans qu’elle accueillera à Nice, la France se doit d’être cohérente et crédible sur ce dossier« .

Selon Swann Bommier, responsable du plaidoyer de BLOOM : « La France continue de s’affranchir en toute impunité du cadre réglementaire européen et de se plier aux exigences des lobbies de la pêche industrielle. Ce sont tous les écosystèmes marins de Méditerranée qui se retrouvent ainsi menacés. A l’heure où la communauté scientifique tire la sonnette d’alarme sur l’état de l’océan et particulièrement de la Méditerranée, il est urgent qu’Emmanuel Macron mette fin à l’imposture de la protection « à la française » et aligne ses actes sur ses discours visant à faire de la France une « grande nation océanique » ».

Les deux associations se réservent le droit de poursuivre cette affaire devant les tribunaux compétents dans le cas où l’administration ne répondrait pas favorablement à ses demandes.