L’Echo des terriers n°16, Faut réguler, faut réguler…

…AVANT QU’LE CIEL NOUS TOMB’ SUR LA TETE!

Faut réguler, faut réguler… aurait pu chanter Henri Salvador. Ré-gu-ler, ils n’ont que ce mot à la bouche. La régulation comme un leitmotiv, plus encore une religion. Il n’y a pas un jour sans une déclaration sur l’impérieuse nécessité de ré-gu-ler. Qu’ils soient agriculteurs, élus, chasseurs, fonctionnaires, tous ceux qui, enfin, veulent éliminer des animaux sauvages, soulignent cette évidence d’intervenir pour maintenir les équilibres naturels. Eviter l’emballement. Le risque de perte de contrôle est un a priori, une évidence qui ne nécessite pas d’explication.

Ici c’est la Présidente (PS) de l’Ariège Ours/Ariège : Christine Téqui : « Si l’État ne veut pas parler de régulation, il y aura des morts » – Dis-leur ! « quand on parle du vautour dans les Pyrénées, il fallait le réguler. Ils s’en sont vite aperçus, il est régulé. Pareil pour le loup. C’est vrai pour toutes les espèces… ». Là c’est le Préfet du Loir et Cher Xavier Pelletier qui déclare à la Nouvelle République « La nature ne se régule pas toute seule, la main de l’homme est importante pour éviter les déséquilibres, ainsi que des problèmes sanitaires qui risqueraient d’avoir des répercussions sur l’activité agricole et la santé humaine ». Tandis que la Présidente de l’Assemblée Nationale veut bien envisager la fin de la vénerie sous terre des blaireaux, mais s’inquiète du risque de « prolifération ». Tout comme le Président du Département de l’Ardèche : « je ne veux pas que le loup s’installe et prolifère sur mon territoire ». Partout sur les réseaux sociaux, c’est le même refrain « Grâce à la @LPOFrance, les cormorans pullulent dans nos cours d’eau et éradiquent toutes vies piscicoles ».

Réguler, c’est-à-dire faire fonctionner correctement et durablement la nature. Si nous n’intervenons pas, elle va s’emballer, se déchainer, déborder, s’autodétruire -et nous avec- façon réacteurs de Tchernobyl et Fukushima. Il leur faut éparpiller, façon puzzle.

S’il ne s’agissait pas seulement d’une prétention indécente, cette conviction intime se heurte à plusieurs réalités, et en premier lieu au fait que la vie sur terre ne nous a pas attendus pour atteindre un équilibre en perpétuelle évolution. Cet extrait de l’excellent émission Une espèce à part (intégrale) | ARTE (youtube.com) suffit à mieux comprendre :

« La planète Terre n’a pas attendu l’Homme pour commencer son histoire. Depuis que la vie y est apparue, la Terre a hébergé d’innombrables espèces, qui s’y sont succédé pendant plus ou moins longtemps. Mais 99,9% des espèces qui ont vécu sur terre ont aujourd’hui disparu… en moyenne, leur passage sur terre ne dure que quelques millions d’années. Si l’histoire de la terre s’écrivait dans un livre de 1000 pages, la vie y apparaitrait vers la page 185. Cette vie ne serait représentée que par des cellules simples pendant plus de 700 pages. Jusqu’à l’explosion d’espèces multicellulaires des pages 870 à 880. La sortie des eaux ne se raconterait qu’à la page 916… les dinosaures à la page 960… A la fin du livre, l’histoire entière d’Homo sapiens depuis son apparition jusqu’à aujourd’hui ne ferait l’objet que d’une poignée de lignes tout en bas de la toute dernière page. Sa présence sur Terre ne représente donc que 0,004% de sa très longue histoire. L’Homme n’existe pas depuis bien longtemps, mais il n’est pas pour autant plus évolué. Toutes les espèces sont au sommet de l’évolution et toutes sont parfaitement adaptées à leur environnement ».

« Tais-toi donc chose imprécise appelée à disparaitre » aurait écrit le poète.

Mais alors comment ont été maintenus les équilibres avant que nous n’arrivions ?! Comment ont fait les espèces pour se multiplier et, surtout, se diversifier ? Pourquoi n’y a-t-il pas eu de moins en moins d’espèces, hormis lors des grandes extinctions ? Si les plus forts font disparaitre les plus faibles, à la fin il n’en reste presque plus, non ? Façon multinationales…

C’est que nos grands « jardiniers de la nature » n’ont pas seulement une méconnaissance de l’histoire de la vie sur terre ; ils ont également de graves lacunes dans le domaine de la science écologique. Ils oublient que les écosystèmes sont complexes, évolutifs, que les espèces interagissent, qu’elles sont tout à la fois concurrentes et solidaires. Il manque à nos champions du bac à sable, à nos experts en légos, aux rois du bazooka des notions de base, comme le domaine vital, les ressources alimentaires, la régulation naturelle, les dynamiques de population, y compris les aléas comme les accidents, épidémies, inondations, incendies…

Jamais on n’a vu, jamais on ne verra… un prédateur faire disparaitre ses proies. Le meilleur moyen pour éviter qu’un renard ou un blaireau n’investisse un nouveau territoire, c’est de laisser ceux qui y sont installés !

Les rois de la gâchette jugent des prétendus équilibres à l’aune de leurs sens atrophiés. Et à des échelles géographiques et temporelles ridicules. Au mieux, leurs interventions maladroites à coups de karcher ou de lance-flamme ne font que créer d’autres déséquilibres. Déséquilibres qu’ils se vantent de pouvoir et de devoir résorber.

Personne de leur demande des comptes sur les conséquences de leurs actes primaires autant qu’impulsifs, alors qu’ils causent des dégâts environnementaux, sanitaires, économiques et sociaux en privant la société des Hommes (et des Femmes) des apports inestimés, matériels et immatériels, des espèces ainsi détruites.

La faune et la flore ne sont que les indicateurs de la qualité des milieux. Les principaux « dérèglements » sont ceux provoqués par l’activité humaine : certaines espèces pâtissent des changements de modes d’exploitation agricole, du dérèglement climatique, de la déforestation, des pollutions… D’autres, opportunistes, en profitent. Ce sont par exemple les chasseurs eux-mêmes qui maintiennent un niveau de sangliers élevé pour leur propre plaisir. Ils contestent la présence, voire détruisent les prédateurs, puis se targuent d’être les seuls à pouvoir réguler leurs proies naturelles. Des pompiers pyromanes en quelque sorte.

Du reste, et à part d’éliminer totalement une population animale (comme ils ont pu le faire par le passé avec l’aide du poison), rien ne prouve que leur action soit efficace : ni pour « maitriser » les dynamiques de population, ni pour faire baisser les éventuels débats qu’ils attribuent souvent à tort à telle ou telle espèce. Demandez donc à ces « experts de la gâchette » de vous prouver que tel carré de pomme de terre a été retourné par un blaireau (qu’il n’a pas à indemniser) plutôt que par un sanglier (qu’il devrait indemniser s’il reconnaissait sa responsabilité).

L’Echo des terriers (EdT), toujours avide d’en savoir plus, est allé interroger la célèbre psychanalyste Martes Foina.

EdT : qu’est-ce qui empêche une approche raisonnée, dès lors qu’il est question de la reproduction des animaux sauvages ?

Docteur Foina : les mots utilisés traduisent le ressenti intuitif. Prolifération est un mot associé au domaine nucléaire ou microbien. Ce qui nous dépasse en trop grand ou en trop petit pour être « raisonnable ». Ce que je ne peux pas comprendre, donc accepter. On entend aussi le mot pullulation, qui évoque la pullulation bactérienne. Ce que nous ne pouvons plus maitriser, qui nous échappe. Le qualificatif de sauvage confirme l’indomptabilité de l’objet.

EdT : en quoi se sentent-ils investis d’une responsabilité ?

Docteur Foina : il y a, sous-jacent, le sentiment d’impuissance, et donc de culpabilité. Le temps nous est compté. Laissez-moi agir avant qu’il ne soit trop tard. La peur de perte de puissance, c’est avant tout sexuel évidemment, ce n’est pas moi qui le dis, c’est Freud. Le temps presse, car demain nous ne pourrons plus. Nous ne pourrons plus quoi ? Je vous laisse deviner. Ce n’est pas un hasard si 98% des régulateurs précoces sont des hommes.

EdT : agir en donnant la mort, c’est un fusil à un coup non ?

Docteur Foina : oui bien sûr, mais si propre mort offre peu de perspectives -la mort va nous empêcher d’agir- on peut en revanche donner la mort autant de fois qu’on le veut. Comme on assouvirait un besoin. Ils veulent donner la mort avant de la recevoir. Se venger avant l’heure. C’est une pulsion simplificatrice de tout. Ce qui motive l’action, c’est avant tout la peur. La peur de l’autre, de l’inconnu, de demain… Ils tentent de combler un vide sidéral.

EdT : mais alors ça ne s’arrêtera jamais ?

Docteur Foina : comme toutes les pulsions, elle peut être satisfaite sur le coup. Mais une pulsion assouvie… en appelle une autre. Comme la cigarette. C’est un cercle vicieux. Tous les prétextes seront utilisés pour continuer y compris ceux irrationnels. Il y a trop de prédateurs qui détruisent les herbivores, tuons les prédateurs. Et trop de brouteurs qui détruisent les plantations, tuons les brouteurs. Trop de renards et trop de campagnols. Trop de cormorans et trop de poissons blancs. Plus on élimine, plus il nous faut éliminer. Les prédateurs comme leurs proies. Les forts et les faibles.

EdT : les personnes qui souffrent de ces troubles doivent être très malheureuses ?

Docteur Foina : non pas forcément ; c’est comme une drogue, ça soulage un temps. Et puis c’est aussi une manière de combler un vide, de donner un sens. De s’attribuer une responsabilité. C’est important vis-à-vis de soi-même et des autres. Ça évite de penser à autre chose. Et surtout à la brièveté de leur passage sur Terre et à celle de l’Humanité. C’est vertigineux si on veut bien y réfléchir.

EdT : vous pouvez les aider ou au moins, leur donner des conseils ?

Docteur Foina : j’en serais ravie, mais ils ne viennent pas me voir. Ils n’ont pas conscience de leur propre dysfonctionnement. Ils tournent en rond sur leur propre logique, comme un hamster dans sa roue. Il faudrait briser la roue et ouvrir la cage. Rompre des certitudes de plusieurs centaines d’années. Qu’ils se remettent complètement en cause. Qu’ils adoptent d’autres valeurs, deviennent curieux, modestes, qu’ils réfléchissent avant d’agir, caressent 7 fois la gâchette sous leur index avant de tirer…

EdT : toutes les explications, les rapports scientifiques et autre notes techniques sur l’utilité des espèces ainsi pourchassées ne serviront donc à rien ?

Docteur Foina : non, encore une fois c’est irrationnel, impulsif, compulsif. Il faut éduquer dès le premier âge. Développer les sciences de la nature, la connaissance de soi, le respect de son environnement, de l’autre. Cultiver la modestie, développer la curiosité. Inviter à la méditation.

EdT : merci Docteur Foina de nous laisser un peu d’espoir.

Illustration : « Accident de chasse » une œuvre de Pascal Bernier http://pointcontemporain.com/portrait-magnetique-pascal-bernier/ )