Victoire pour les cétacés : un chantier de lignes électriques sous-marines suspendu

Photo Philippe Guerlet

Dauphins, marsouins ou cachalots seront affectés par la construction de 300 km de lignes électriques à très haute tension dans le golfe de Gascogne. Des ONG se sont mobilisées et la justice a suspendu les travaux.

« Enfin une décision de justice qui va dans le sens de l’environnement ! » Marie Darzacq, présidente de l’association Landes Aquitaine Environnement (LAE), ne cachait pas sa satisfaction après la décision du tribunal judiciaire de Bayonne. Celui-ci a ordonné, mercredi 14 août, la suspension immédiate des travaux menés par RTE, le gestionnaire du réseau de transport d’électricité français, dans le golfe de Gascogne.

Pas moins de 300 kilomètres de lignes électriques à très haute tension doivent, en effet, être installées au fond de l’océan d’ici 2027, dans le cadre d’un projet de nouvelle interconnexion électrique entre la France et l’Espagne, mené au nom de la transition énergétique. L’opération menace de nombreuses espèces protégées marines, selon LAE, Sea Shepherd France et Défense des milieux aquatiques. Raison pour laquelle les trois associations avaient déposé fin juillet un référé pénal environnemental auprès du parquet de Bayonne, pour obtenir une décision en urgence.

Présentation par RTE du projet de ligne électrique reliant la France à l’Espagne. © RTE

Au cœur du conflit : l’utilisation de sonars pour réaliser les études de bathymétrie (c’est-à-dire de cartographie des fonds marins) préalables aux travaux. « Les cétacés sont très sensibles à cette pollution sonore. Ils peuvent être effrayés et remonter trop vite à la surface, ce qui provoque des accidents de décompression [pathologie survenant lors d’une diminution trop rapide de la pression atmosphérique]. Cela peut entraîner des échouages, perturber la communication, le nourrissage et la reproduction des mammifères marins », explique Me Marion Crécent, avocate de Sea Shepherd France.

Or, pas moins de dix-sept espèces de mammifères marins — comme des dauphins bleus et blancs, des grands cachalots ou des orques — ont été identifiées dans la zone affectée par les travaux, toutes classées espèces protégées. Le tribunal ordonne en conséquence à RTE, avant toute reprise des travaux, la mise en place d’une zone d’exclusion de 750 mètres autour de la zone d’émission des sonars et le démarrage progressif des émissions sonores, ainsi qu’une surveillance acoustique et visuelle à bord des navires. Cette dernière doit permettre l’arrêt total des activités en cas de présence détectée d’animaux dans la zone et jusqu’à vingt minutes après leur départ.

La juge a également imposé à RTE la réalisation d’une étude d’impact sur ces utilisations de sonars ainsi qu’un plan d’atténuation des effets du bruit sur les milieux aquatiques. RTE devra, enfin, publier un rapport mensuel garantissant l’effectivité des mesures ordonnées. L’entreprise a un mois pour produire ces documents, sous astreinte de 10 000 euros par jour de retard passé ce délai.

Des nuisances possibles au-delà des travaux

RTE a indiqué prendre acte de la décision du tribunal, tout en se réservant le droit de faire appel. « RTE réalisait ses sondages en mer dans le strict respect des autorisations délivrées par l’État », s’est défendu le gestionnaire d’électricité via un communiqué.

Une autorisation environnementale a effectivement été délivrée par arrêté interpréfectoral pour la réalisation des travaux en septembre 2023. Pour les associations opposées au projet en mer, cette autorisation est bourrée de lacunes. « Outre l’absence de prise en compte des sonars, l’administration a donné son autorisation en s’asseyant complètement sur le seul avis scientifique indépendant sur ce dossier, celui du Conseil national de la protection de la nature (CNPN) », déplore Me Marion Crécent.

Dès août 2022, le CNPN a rendu un avis défavorable, et très critique, à l’encontre de ce projet d’enfouissement sous-marin de câbles électriques de 400 000 volts. En cause notamment pour l’instance indépendante, « une omission surprenante des impacts en milieu marin » du projet et « des mesures de réduction et de compensation très insuffisantes, qui ne permettent pas de répondre à l’objectif d’absence de perte nette de biodiversité ».

Un champ électromagnétique néfaste

Car les sonars ne sont pas les seules sources d’inquiétude pour les défenseurs des espèces protégés : les autres bruits provoqués par les travaux, les risques de collision entre les dauphins et autres cétacés et les navires, ou la hausse de la turbidité de l’eau sont aussi des dangers pour les espèces marines et leur habitat, souligne le CNPN. RTE assure de son côté que ces effets seront limités à la durée des travaux et que des mesures seront prises pour en restreindre la portée.

Au-delà du chantier, l’exploitation de ces lignes à très haute tension va générer un champ électromagnétique. Un phénomène qui a des conséquences documentées sur le comportement physiologique de certaines espèces, selon les scientifiques du Conseil. « L’étude d’impact de RTE comporte de grosses lacunes sur les raies et les requins, extrêmement sensibles à l’électromagnétisme, dénonce Me Marion Crécent. Les saumons risquent aussi de perdre leur route migratoire et d’être affaiblis par ces perturbations. »

Tous les effets délétères de ces lignes sous-marines pourraient être évités si le tracé passait plutôt par voie terrestre. C’est l’autre critique majeure adressée au projet de RTE, à la fois par le CNPN et les associations : aucun tracé alternatif n’aurait été assez sérieusement exploré.

Une alternative 100 % terrestre possible ?

L’autorisation environnementale comprend une dérogation à l’obligation de préserver les espèces protégées et leur habitat, ce qui est légalement possible si et seulement si aucune solution alternative satisfaisante n’existe. Une condition non remplie par RTE, d’après le CNPN. « RTE refuse d’étudier une alternative, déplore Marie Darzacq. Il serait possible de construire une ligne entière par voie terrestre, en suivant les infrastructures autoroutières ou ferroviaires. Il serait possible de longer l’A63, où les terres sont déjà dégradées », assure-t-elle.

« RTE se moque du monde »

L’entreprise répond sur le site dédié au projet que les options de lignes aériennes ou souterraines terrestres présentaient trop de contraintes techniques. Entre autres, des « contraintes d’urbanisation autour de Bordeaux et au Pays basque, [des] difficultés techniques liées notamment à la présence d’ouvrages d’art sur les autoroutes espagnoles et un nombre beaucoup plus important de tronçons avec des jonctions tous les 1 à 2 km ».

« RTE se moque du monde, soupire Marie Darzacq. Ils ont un autre projet sur ce parcours terrestre, c’est bien la preuve que c’est faisable. Et un projet 100 % terrestre serait beaucoup moins coûteux que de passer sous l’océan. »

Les associations continuent le combat

Pourquoi, dans ce cas, s’obstiner depuis le lancement du projet en 2018 à promouvoir une option sous-marine techniquement complexe et écologiquement controversée ? RTE ne nous a pas répondu sur le sujet. Marie Darzacq soupçonne de son côté l’entreprise de vouloir faire de ce projet une démonstration de ses compétences techniques et une vitrine commerciale. « Il y a beaucoup de lignes du même genre à relier, en Asie notamment, qui pourraient passer sous l’océan. On a l’impression d’être sur le champ d’expérimentation des ingénieurs de RTE, incapables de se remettre en cause », déplore la présidente de LAE.

En parallèle de ce référé pénal environnemental, les associations ont déposé une plainte qui a conduit à l’ouverture d’une enquête préliminaire par le parquet de Bayonne. Celle-ci devrait établir les responsabilités pénales des entreprises à propos de l’utilisation potentiellement infractionnelle des sonars — responsabilité que l’ordonnance du 14 août ne tranche pas.

La légalité de l’autorisation environnementale avait également été contestée devant le tribunal administratif de Bordeaux. Celui-ci a rejeté le recours des associations mais elles ont annoncé leur intention de faire appel. Déterminées à obtenir l’annulation définitive du tracé sous-marin, au nom de la préservation des espèces protégées.

Source : Reporterre.net