Dans un entretien au journal Le Point, le porte-parole d’une association assure que “la biodiversité ne s’effondre pas en Europe”. Cette affirmation est démentie par les travaux scientifiques et même par les études sur lesquelles dit s’appuyer cette association.
“Chiffres et exemples à l’appui.” C’est peut-être cette formulation qui fait le plus se dresser les cheveux des chercheur.ses spécialistes de la question. Alors que la 16ᵉ conférence mondiale sur la biodiversité s’est ouverte le 21 octobre dernier à Cali (Colombie), le journal Le Point a publié un entretien avec le porte-parole de l’association Action Écologie, Bertrand Alliot. Dans lequel ce dernier conteste le déclin de la biodiversité, en Europe.
L’affirmation est trompeuse et s’appuie sur des données décontextualisées. Sans compter qu’elle est à rebours des travaux scientifiques réalisés depuis un demi-siècle.
Pour justifier son propos, l’interviewé explique que les conclusions des ONG environnementales sont “catastrophistes”. Il en veut pour preuve l’exemple du World Wide Fund for Nature (WWF) qui produit tous les deux ans un rapport “Planète vivante” dans lequel l’ONG dresse un état des lieux de la biodiversité dans le monde et produit un “Indice Planète vivante” (IPV). Selon lui, les chiffres inquiétants qui s’en dégagent (par exemple, la taille moyenne des populations d’animaux vertébrés sauvages a chuté de 73 % en seulement cinquante ans) sont une “manière de noyer le poisson”.
LIRE LES INDICATEURS DE BIODIVERSITÉ À DIFFÉRENTES ÉCHELLES
D’après Bertrand Alliot, lorsque l’on regarde à plus petite échelle, la situation n’est pas si terrible. “La biodiversité ne s’effondre pas en Europe”, répond-il au journaliste du Point. En préambule de l’interview, ce dernier utilise un indicateur de la WWF de 2012 qui s’intéresse notamment aux écosystèmes “tempéré” (schématiquement, les pays riches). Entre 1970 et 2008, cet indicateur observait une évolution positive de la biodiversité de 31 %.
Mais qu’à l’échelle mondiale, ce même rapport indique un recul de la biodiversité de 30 % sur la même période. Et dans le détail, pour les écosystèmes “tropicaux” (les pays proches de l’Équateur), ce recul est même de 60 %.
Revenons sur ce chiffre de 31 %, qui pourrait faire croire que tout va bien. Le WWF, qui a réalisé cet indicateur, mettait déjà en garde contre les conclusions qu’on pouvait tirer d’un tel chiffre : “[Ce 31%] ne doit pas nécessairement s’analyser comme la preuve d’un meilleur état de santé des écosystèmes tempérés par rapport aux écosystèmes tropicaux”.
Comme l’indiquait déjà le WWF, “ce chiffre masque des extinctions massives antérieures à 1970”. Pour Louise O’Connor, écologue et biologiste de la conservation à l’Institut international d’analyse des systèmes appliqués (IIASA), il ne faut pas oublier qu’en 1970, la biodiversité en Europe avait déjà pâti des activités humaines (pressions anthropiques) et était donc déjà une valeur de référence basse. “La biodiversité en 1970 en Europe était déjà plus basse que celle d’il y a 500 ans,recontextualise-t-elle. On assiste à un glissement de référence.”
Cette évolution positive de la biodiversité en Europe s’explique donc par un référentiel bas et par des actions de conservation entreprises par ces mêmes associations.
LES CASTORS VONT BIEN, LA BIODIVERSITÉ MOINS
“En Europe, la biodiversité ne s’effondre pas. Des espèces reculent, mais d’autres reviennent”, affirme Bertrand Alliot au Point en prenant l’exemple des cervidés, des sangliers (qui n’ont pas été menacés d’extinction) et des castors et en citant aussi le rapport “Wildlife Comeback in Europe”.
Ce dernier, réalisé par l’ONG Rewilding Europe, note effectivement une augmentation des populations de ces animaux-ci, ainsi que d’autres, comme le lynx et plusieurs autres espèces. “Ils s’attardent sur la dynamique positive de 37 espèces qui ont fait l’objet d’actions de conservation efficaces, mais ça n’est pas la tendance générale de la biodiversité en Europe”, dénonce l’écologue Louise O’Connor.
Contactée, Rewilding Europe dénonce une “méprise” dans l’analyse de ses chiffres. “Le rapport ‘Wildlife Comeback in Europe’ met en évidence la résilience de certaines espèces sauvages qui se sont remarquablement rétablies grâce à des efforts de conservation soutenus, à des protections juridiques et à la restauration de l’habitat dans toute l’Europe. Cependant, il est important de reconnaître que ce retour s’inscrit dans un contexte plus large de déclin continu de la biodiversité.”
DES LISTES “TROMPEUSES”… SEULEMENT QUAND ON NE LES LIT PAS EN ENTIER
Bertrand Alliot s’attaque aussi aux listes de l’Union internationale pour la conservation de la nature (UICN) qui dresse des listes des espèces en danger à différentes échelles (nationales, continentales, mondiales). D’après lui, les listes “régionales” sont trompeuses, car elles seraient “mal interprétées”.
Florian Kirchner, responsable du programme “espèces” au comité français de l’UICN, rappelle que, pour toutes les listes régionales ou nationales, par exemple à l’échelle de la France, il est clairement indiqué également l’état de l’espèce sur la liste mondiale. “Il s’agit de suivre l’état de santé des espèces de façon fine pays par pays, développe-t-il. Grâce à ces listes, on peut voir quelles populations de quelles espèces se portent bien ou mal au fil du temps. L’indicateur marche dans les deux sens, pour identifier les améliorations ou les dégradations.”
Aussi, les exemples pris par Bertrand Alliot dans son entretien nécessitent une contextualisation, explique Florian Kirchner. “Il dit que le macareux moine et le grand hamster étaient sur les listes rouges en France alors qu’ils sont très nombreux ailleurs dans le monde. Dans ce cas, la liste nationale de la France a justement été précurseur : depuis, ces deux espèces ont été classées vulnérables et en danger critique au niveau mondial.”
Une chose est sûre : “Aujourd’hui, il y a plus d’espèces qui rentrent dans ces listes comme menacées que d’espèces qui en sortent”, rapporte l’écologue de l’UICN.
“Ces chiffres et exemples sur lesquels Bertrand Alliot dit s’appuyer existent mais sont sortis de leur contexte, dénonce Clara Marino, chercheuse en écologie au Cesab (Centre de synthèse et d’analyse sur la biodiversité) de la Fondation pour la Recherche sur la Biodiversité. Quand on parle de la biodiversité, il existe une variété de dynamiques et de tendances. Il est facile de prendre une tendance pour lui faire dire ce qu’on veut. Il faut ressortir des tendances globales.”
Or les tendances globales montrent un effondrement de la biodiversité. Et ce ne sont même pas les ONG dans le viseur d’Action Écologie qui le disent, mais bien l’IPBES, un groupe international d’experts sur la biodiversité qui, sous l’égide de l’ONU, recense tous les travaux scientifiques réalisés sur le sujet. Il dresse un tableau complet : un million d’espèces sont menacées d’extinction en raison des activités humaines, 75 % de l’environnement terrestre et 66 % de l’environnement marin ont été considérablement modifiés.
On peut aussi noter des études sur les disparitions d’oiseaux européens (moins 25 % en quarante ans sur le continent européen) et dont la cause est clairement identifiée comme étant les activités humaines, notamment agricoles.
Ces documents sourcés s’appuient sur les travaux de milliers de chercheurs à travers le monde et sont relus par les pairs, ce qui n’est pas le cas du document d’Action Écologie par exemple.
A lire aussi : COP16: ces chiffres alarmants sur l’état de la biodiversité dans le monde, sur le site de GEO