En déféquant, le cousin sauvage du lama favorise l’adaptation climatique dans les Andes

Lorsque les glaciers se retirent à cause du changement climatique, ils laissent place à des terres rocheuses où les végétaux peinent parfois à s’installer. Dans les Andes, les vigognes accélèrent ce processus en déféquant toutes aux mêmes endroits, fertilisant ainsi les sols (UC Boulder).

« Agile, je peux courir jusqu’à 50 kilomètres par heure, ma toison d’or tenait chaud aux Incas, et le lama et l’alpaga sont mes cousins domestiques » : je suis… la vigogne, bien sûr ! Cette reine de l’Altiplano, les hautes terres arides de la cordillère des Andes, a frôlé l’extinction à cause de la chasse avant d’être protégée (Muséum national d’histoire naturelle).

À chaque lieu son utilisation, telle pourrait être la devise de ces camélidés qui non seulement se déplacent entre le territoire où ils dorment et celui où ils se nourrissent (MNHN) mais qui, en outre, choisissent un endroit précis, partagé par tous les membres d’une harde, pour déféquer.

Or, dans cette région où les glaciers se retirent à grande vitesse à cause du changement climatique, ces « latrines » animales contribueraient à une installation plus rapide de la végétation sur les zones désenglacées en fertilisant les sols, selon une étude publiée en décembre dernier dans la revue Scientific Reports.

Un micro-climat au-dessus des latrines

Les auteurs se sont rendus sur des sites autrefois recouverts par des glaciers dans les Andes péruviennes, jusqu’à 5 500 mètres au-dessus du niveau de la mer, rapporte un communiqué de l’université du Colorado à Boulder (UC Boulder).

En y prélevant des échantillons, ils ont alors constaté que les sols recevant régulièrement des excréments de vigognes contenaient à la fois davantage d’humidité et de nutriments clés, tels que l’azote et le phosphore, par rapport aux terres stériles – majoritairement recouvertes de cailloux laissés par les glaciers – situées à quelques mètres de là.

Le sol d’une latrine était par exemple composé de 62 % de matière organique, contre 1,5 % pour une zone voisine d’où le glacier s’était retiré 85 ans auparavant et qui ne recevait pas d’excréments. Or, qui dit matière organique dit aussi moins de variations de température. Ce qui n’est pas sans conséquence dans cette région d’altitude, où les nuits sont souvent glaciales.

« Les latrines ont créé un micro-climat différent de celui de la zone environnante », explique le Pr Steven Schmidt, qui a supervisé la recherche (communiqué). « Il est très difficile pour les êtres de vivre ici, mais la matière organique a permis aux températures et aux niveaux d’humidité de ne pas fluctuer autant », précise-t-il.

Cervidé menacé, puma : un nouvel écosystème

Quant au vivant, justement, l’équipe a également trouvé des concentrations élevées d’ADN ainsi qu’une grande diversité de micro-organismes dans les échantillons de sol des latrines, ce qui suggère que ces lieux constituent un terrain très propice à leur développement.

Selon l’étude, les vigognes ont probablement « accéléré d’un siècle » la colonisation des habitats stériles par les végétaux. Les camélidés déposent en effet dans leurs excréments des nutriments mais également des graines provenant d’altitudes plus basses. En germant, ces dernières attirent ensuite d’autres organismes, notamment des herbivores qui eux-mêmes attirent des carnivores.

À l’aide de pièges-photos, les chercheurs ont ainsi pu témoigner de la présence d’animaux d’espèces rares telles que le huemul – un cervidé classé « en danger d’extinction » (UICN) – mais également du furtif « lion des Andes », le puma. Un tout nouvel écosystème !

Il faudra cependant attendre des centaines d’années pour que les zones désenglacées de l’Altiplano se transforment en prairie, notent les auteurs. Même avec l’aide de la vigogne, le rythme de la colonisation des nouvelles terres par la faune et la flore demeurera « beaucoup plus lent » que celui du recul des glaciers, préviennent-ils.

Source : GEO

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