Les ange-gardiens

FEH Claudia

Le cheval au nom imprononçable a sa protectrice : Claudia Feh.

Depuis 30 ans, elle lutte pour que cette espèce, éteinte à l'état sauvage, puisse être réintroduite en Mongolie et en Chine.

Le cheval de Przewalski, ou cheval sauvage d'Asie , ou encore "Takhi", a été vu pour la dernière fois "libre" en Mongolie à la afin des années 1960. Chasse, perte de l'habitat, capture pour des études scientifiques ou des collections privées, mais aussi une série d'hivers particulièrement rudes entre 1945 et 1956 ont conduit à la disparition des derniers troupeaux sauvages. Seuls 2 200 individus vivent aujourd'hui dans le monde, une majorité dans les zoos où leur présence a permis de lancer les programmes de réintroduction.
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Après avoir étudié le comportement des chevaux de Camargue qui forment des groupes familiaux lorsqu'ils sont laissés en semi-liberté, Claudia se pencha sur le sort de cette espèce menacée. Avec l'aide de Luc Hoffman et du WWF au début, elle entreprit de fonder une horde dans le village du Villaret (sur le Causse Méjean en Lozère).

Première expérience réussie puisque durant 10 ans les interventions humaines ont été réduites au strict minimum, laissant le champ libre à un projet de réintroduction à l'état sauvage. Un autre site a ainsi été ouvert en Espagne.

22 chevaux ont donc été relâchés  en Mongolie entre 2004 et 2005, sur une surface de 14 000 hectares (clôturée afin d'empêcher les animaux domestiques de pénétrer), le contact avec les humains ne se faisant que pour des interventions d'urgence. 51 poulains sont nés depuis, dont 35 ont survécu, prouvant que le projet était viable.

 

2014 fut marquée par un nombre record de poulains : 12 au total, 10 survivant. Malheureusement, cette année fut aussi marquée par une mortalité inhabituelle avec une perte de 7 chevaux, à cause d'une épidémie d'anthrax : une bactérie trouvée dans la nature qui « éclate» de temps en temps en Mongolie et ailleurs. Mais la population continue d'augmenter malgré ce revers.

Deux autres projets ont été lancés en Mongolie (SO, dans le Parc National du Gobi B et près d'Oulan Bator) par d'autres ONG, et deux an Chine.

Claudia Fey a été récompensée par le prix Rolex en 2004 pour l'ensemble de son oeuvre.

2018 : Claudia Feh participe au livre de Sally Zalewski "Le cheval de Przewalski"

Quelques faits sur les chevaux de Przewalski :

- ils font partie des 7 espèces d'équidés sauvages survivantes. Avec 3 espèces de zèbres et 3 d'ânes (l'Hénione), c'est la seule espèce de cheval sauvage.

- des peintures et gravures rupestres laissent à penser que l'espèce vivait en Europe de l'Ouest il y a 30 000 ans de cela.

- tous les individus existants aujourd'hui sont les descendants des 15 derniers specimens vivants au début du 20ème siècle.

 

Votre Parcours en quelques étapes significatives ? Toute petite j’ai été attirée par la nature. Ça a commencé avec mes parents, membres de la Société de protection de la nature Suisse, avec lesquels on sortait tous les weekends, souvent se promener en montagne. J’aimais être dehors, sous le ciel. J’avais toujours envie de vivre en compagnie des animaux, même en appartement : des petits cafards, des oiseaux, des têtards qui deviennent grenouilles… J’observais les tourterelles qui nichaient sur l’arbre en face.

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Puis les chevaux. J’ai pris des cours d’équitation, puis j’ai travaillé dans une écurie. En même temps, je suis allée au lycée, ai passé un bac maths et géométrie (la première classe de filles en Suisse). J’allais au zoo aussi, et c’est là que j’ai fait mon premier travail sur le comportement des zèbres, qui m’a fait obtenir le deuxième prix d’une compétition nationale de jeunes chercheurs. Plus important, le zoo a changé la gestion qui posait problème grâce à mon travail.

J’ai d’abord pensé à être vétérinaire mais j’ai réalisé qu’on s’occupait plus des gens que des animaux ! Ma spécialité c’était plutôt les chevaux difficiles, avec lesquels j’ai eu de véritables succès, qui retournaient ensuite à leur propriétaire et recommençaient à être difficiles. Frustrant. Et les animaux sauvages m’intéressaient plus.

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Une année, on était allé en vacances en Camargue avec mes parents et c’est là que j’ai vu pour la première fois des chevaux sur des espaces si grands, courant, jouant. Une fois que j’ai vu ça j’ai décidé que j’irai vivre là-bas après mon bac. J’ai appris l’existence de la Station biologique de la Tour du Valat, j’ai fait une demande de stage. Ma candidature a été acceptée par Luc HoffmannEt durant la première année je me suis occupée d’ornithologie, les sorties,… avec les fameux ornithologues de la Station, Heinz Hafner, Alan Johnson, John Walsmley, Hubert Kowalski. J’étais dehors du matin au soir, heureuse, on baguait, on faisait des observations de nuit sur les hérons, c’était très varié. Et le weekend je montais à cheval, j’allais aux ferrades, je triais les taureaux. J’avais un cheval que la Station m’avait offert. Je ne voulais plus partir. 

Mais Luc Hoffmann m’a dit un jour que si je voulais continuer dans un métier de nature, il fallait que j’aille faire des études de biologie. Je suis donc retournée à Zurich, j’ai tenu deux ans !

Puis la Tour du Valat a commencé une étude sur un troupeau de chevaux de Camargue en liberté. J’ai re posé une candidature et j’ai été de nouveau acceptée.

Pendant 8 ans, les années 70-80, je n’ai pas fait vraiment autre chose qu’observer les chevaux en liberté. Au début, assistante de terrain, de recherche, puis, deux profs m’ayant soutenue, j’ai fait une thèse à la fac de Marseille sur le comportement des étalons sauvages de chevaux de Camargue. En général, on étudiait l’impact du milieu sur les chevaux, des chevaux sur le milieu, relations sociales (l’éthologie). C’était assez nouveau. On a enfin commencé à comprendre le comportement d’un cheval qui ne vit pas à l’écurie. On avait un vrai troupeau, jusqu’à 80 chevaux.

Puis à un moment je me suis dit que le Camargue n’était pas le vrai cheval sauvage. Et je suis tombée sur le Przewalski, dernier véritable cheval sauvage du monde !

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A cette époque des rumeurs circulaient qu’il y en avait encore en Mongolie. J’voulais y aller. Il y en avait dans les zoos, dans des petits espaces. Un mouvement international s’est levé pour les sortir des zoos afin de les mettre dans des conditions plus naturelles. J’y ai participé (années 80/82).

Premières visites de semi-réserves (Hollande), projet avec le WWF France et le parc national des Cévennes (mais terrain mal choisi, trop pentu, chevaux avec des malformations qui sont morts), découverte du Causse Méjean : c’était le bon endroit ! Je me suis renseignée ; un jour Luc Hoffmann m’a dit que ce serait bien de trouver un terrain . On est parti à la recherche d’un terrain, et on a trouvé les 312 ha du Villaret !

Au début les gens du coin ont trouvé ça bizarre, des chevaux jamais vus sur le causse mais ensuite tout le monde a accepté le projet.

Et c’était parti. Avec les petits problèmes inhérents aux Przewalski: malformations, mortalité de nouveaux-nés mais tout s’est finalement bien passé.

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Bien sûr je pensais à la Mongolie. J’y suis allé en 88 puis 90 et chaque année à partir de 92. Deux autres projets de réintroductions s’y sont implantés cette année là. Mais un animal m’intéressait particulièrement là-bas, l’Hémione, une des 7 espèces d’équidés sauvages. J’ai commencé une étude dans le parc national du Gobi. Et cela m’a permis de prospecter pour le cheval de Przewalski : le milieu, les aléas climatiques (certaines populations en ont souffert), les épidémies…

En 2004, les premiers chevaux du causse s’en vont, le projet aboutit, après 20 ans de travail. Le site de Takh donne plein d’informations sur l’histoire de cette réintroduction.

Quels sont vos maîtres à penser, vos références littéraires ? Je n’ai pas de maître à penser, mais certainement des sources d’inspiration. 

Luc Hoffmann bien sûr, dont les idées et actions ont joué un rôle prépondérant dans mon parcours et pour le projet du cheval de Przewalski, comme il l’a fait pour d’innombrables autres projets de conservation et d’autres personnes.

Une grande admiration pour François Bourlière (NDLR : médecin écologue mort en 1993, il a été président de l’UICN et de la SNPN et l’initiateur des recherches sur les zones humides), grand connaisseur de l’écologie et du comportement des mammifères du monde.

Deux livres m’ont marquée : « Avant que nature meure » de Jean Dorst et « Serengeti ne doit pas mourir », de Bernhard Grzimek, quand j’avais 10 ans. Les livres des scientifiques orientés comportement : Konrad Lorenz, Niko Tinbergen (le fondateur de l’éthologie comparative), David Lack l’ornithologue britannique entre autres. Je dévorais  également les livres de George Schaller. Et, bien sûr, les classiques, Darwin et Wallace, je viens de les relire.

En littérature, Kipling, Camus, Tolstoi. Côté philosophes : Pascal, Poincaré, Leibniz, Spinoza, Kant, Kierkegaard, Nietzsche. 

Et plus récemment, je me suis replongée dans des livres de physique : Richard Feynmann

Pourquoi l’animal sauvage ? D’abord le paysage sauvage, sa beauté ; qui dit animal sauvage dit décor sauvage. Ça va ensemble. Et l’animal sauvage est quelque chose qui se respecte, les animaux sauvages sont eux-mêmes, ils n’appartiennent à personne, ils sont à part, des êtres vivants à part entière. Je crois qu’on est plus à égalité avec un animal sauvage.

Si vous en étiez un, lequel ? Aucune idée ; ou si, un oiseau peut-être, un Martinet, pour voyager et rester dans le ciel le plus longtemps possible. Je ferais bien mienne cette phrase de Jules Renard : « Si j’étais un oiseau, je ne coucherais que dans les nuages » ! J’adore regarder passer les nuages.

La ou les deux plus belles rencontres avec la vie sauvage? Il y en a tellement…J’ai passé des milliers d’heures avec les chevaux de Camargue et de Przewalski.

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Et aussi mes premières observations d’hémiones. François Bourlière m’avait poussé à publier les premiers résultats, il n’y avait plus eu de publications dans une revue internationale depuis 50 ans. Et mes rencontres de très près avec les loups de Mongolie, à partir d’une tente ou de ma yourte. J’ai assisté à des attaques sur les hémiones, ce qui m’a permis de voir l’importance des étalons dans la défense contre ces prédateurs. Mais en dehors de la compréhension, c’était viscéral. D’en faire partie.

Votre Spot préféré? Le désert de Gobi en Mongolie, la région du parc national où nous travaillons, un mélange incroyable de paysages exceptionnels : le désert, la steppe, des gigantesques lacs et leurs zones humides, des montagnes de la chaîne de l’Altaï à 4000 mètres…

Le lieu mythique où vous rêvez d’aller ? Le Ladakh, pour voir le kiang, seul équidé que je n’ai pas encore vu en liberté. J’ai pas mal bourlingué, mais j’aimerais bien aller aussi au Botswana, et aussi en Argentine, la Patagonie. Et la lune !

Quel genre de matériel utilisez-vous dans votre activité ? Des jumelles, un carnet, un crayon. Très important, le crayon, avec une gomme au bout. Ca fonctionne sous la pluie, dans une tempête, par -40C ° ou plus 45°. Un appareil photo. Bien sûr, nous utilisons également des dictaphones, des GPS et des télémètres.

Un conseil au débutant dans votre activité, que lui diriez-vous ? Etre soi-même. S’engager, dans le sens ‘on y va’. Où ? On ne sait pas exactement, on a juste une idée en tête. Notre projet a un programme avec des volontaires qui travaillent en Mongolie. Ils/elles sont curieux de tout, ont le goût de l’aventure, de l’impossible, je m’y retrouve.

Et bien sûr être patient, persévérant.

Un animal disparu revient, lequel ? Les ancêtres des équidés actuels, bien avant les grottes, plusieurs millions d’années en arrière. Il y en avait partout, des grands, des petits, des à trois doigts… Ça m’amuserait d’observer le comportement de l’Hippidion ou du Dinohippus.

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Une urgence en de faveur la faune sauvage? Nous assistons à la sixième extinction de la biodiversité, qui va beaucoup plus vite que les extinctions antérieures. L’évolution n’aura pas le temps de rattraper les pertes. Ceux qui disparaissent le plus vite ou ont déjà disparu en grande partie, ce sont les GRANDS animaux, surtout les mammifères.

En termes de préservation, quelles initiatives devraient être prises ? Passer par les enfants, leur apprendre à respecter toutes les formes vivantes - l’escargot qui passe sur ma terrasse. Ça s’apprend tout petit. Par l’entourage humain.

Y a t’il une association pour laquelle votre cœur bat davantage ? Je soutiens Amnesty, Médecins sans Frontières, d’autres…orientées protection de la nature. Il y a beaucoup plus de mouvements qui oeuvrent pour la protection de la nature qu’il y a 40 ans, c’est génial !

Vous disparaissez ce soir, quel message laissez-vous ? Je ne crois pas être assez importante mais ce que j’ai vécu peut inspirer quelques uns. Toute vie est une incroyable source de bonheur, il suffit de regarder, d’être curieux. Ne peut-on avoir un peu plus de respect pour l‘univers, inclus tous les animaux ?

Le respect vient de la connaissance!

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