Cela fait un quart de siècle que les Canadiens désespèrent de la reconstitution du stock de morues de Terre-Neuve. Pour la première fois depuis la fermeture de la pêcherie au début des années 1990, les halieutes constatent enfin une remontée de la population.
EFFONDREMENT. La morue de Terre-Neuve, c’est le symbole d’une ressource alimentaire qui s’effondre pour cause de surexploitation et de mauvaise gestion par les hommes. Pendant des décennies, les pêcheurs ont prélevé tous les ans de 200 000 à 400 000 tonnes de Gadus morhua dans un stock estimé à plusieurs millions de tonnes, constituant l’un des plus grands garde-manger de l’humanité. Dans Pêcheur d’Islande, Pierre Loti décrit ainsi les flots des abords du Canada prenant la couleur grise du dos des poissons, où les terre-neuvas bretons du début du 20e siècle puisent sans compter.
A partir des années 1960, le nombre et la puissance des bateaux augmentent, provoquant une importante surpêche de plus de 500 000 tonnes par an dont l’épilogue intervient en 1991 avec un véritable effondrement de l’espèce. Il ne reste alors que quelques milliers de tonnes de poissons ce qui impose un moratoire drastique. La pêche française est interdite en 1992 et le moratoire total est imposé en 1995, provoquant une crise économique sans pareille sur les côtes du Canada et de Nouvelle-Angleterre. Depuis, on attend le retour de la morue. Jusqu’ici en vain. Malgré la fin de la pêche industrielle, les stocks ne sont pas remontés. Des hypothèses diverses ont été avancées : l’occupation de la niche écologique par d’autres espèces et notamment des crustacés, la prédation des phoques, le braconnage des pêcheurs locaux… Ces dernières années, la morue de Terre-Neuve a été considérée comme un possible exemple d’une pêcherie incapable de se reconstituer.
Les eaux se réchauffent et le capelan revient
MIGRATION. C’est cette histoire que rappelle le Dr George Rose, du Centre de Recherche sur les écosystèmes des pêches, dans une étude publiée mardi par le Journal canadien des sciences halieutiques et aquatiques. Le scientifique y expose les résultats des chalutages et des relevés acoustiques effectués ces dix dernières années sur les trois voies de migration de l’animal à travers le banc de Terre-Neuve. La morue est en effet un poisson migrateur vivant au large, à plusieurs centaines de mètres de profondeur, mais qui se regroupe près des côtes de janvier à juin pour la reproduction. C’est à cette période qu’il est possible d’évaluer la biomasse totale de poissons. De 1995 à 2006, les trois voies migratoires ont été très peu fréquentées. Les chercheurs n’ont plus constaté qu’un seul regroupement de reproduction, dans un petit fjord de la côte ouest de l’île de Terre-Neuve, estimé à 26 000 tonnes de morues en mauvais état sanitaire. En 2007, cette zone de reproduction commence, elle aussi, à être abandonnée, mais en faveur de la voie migratoire la plus au sud, dite couloir Bonavista. C’est l’étude par filets acoustiques de cette zone maritime qui a révélé une population plus nombreuse et saine qu’estimée auparavant.
Depuis 2010, les chalutages scientifiques sur cette région ont révélé une population grandissante, estimée en 2015 à au moins 200.000 tonnes de poissons (contre 450 000 tonnes avant 1990). L’examen des classes d’âge démontre une vigueur retrouvée de la reproduction. Que s’est-il passé ? Les chercheurs ont reconstitué l’évolution des températures de la zone Nord Atlantique. Ils ont constaté une baisse importante de la température de l’eau au début des années 1990 et une remontée à partir de la moitié des années 2000. Ces eaux plus chaudes ont permis le retour du capelan (Mallotus villosus), le poisson dont se nourrit la morue. Avec le retour de sa nourriture préférée, celle-ci se reproduit beaucoup mieux et sa descendance augmente d’autant plus rapidement qu’il n’y a pas de pêche.
GESTION. La morue est-elle pour autant tirée d’affaire ? Les chercheurs incitent à la prudence. Avec le retour du capelan, c’est la première étape qui est remplie. Il faudra ensuite que les trois voies migratoires soient de nouveau utilisées avec des regroupements d’au moins 100 000 tonnes de reproducteurs. Enfin, il faudra constater de forts taux de reproduction sur ces trois zones. Si la pêche reste interdite, le stock pourrait revenir à un niveau “durable” à la fin de cette décennie. “Le message le plus important, c’est que la restauration peut se faire grâce à la limitation des prélèvements de pêche basée sur les constats scientifiques, la bonne gestion et le respect de l’écosystème marin, affirme le Dr Rose. Si cette pêcherie peut se relever, alors il existe le même potentiel pour tous les autres stocks surpêchés dans le monde.” Actuellement, un tiers des stocks mondiaux sont surexploités et la moitié est au maximum de sa productivité.
Texte : Sciences et Avenir