Le Programme Prédateur Proies (PPP), initié par les chasseurs du Jura mais rejeté à deux fois par les scientifiques du Conseil National de la Protection de la Nature (CNPN), serait-il un prétexte pour obtenir à terme une régulation du lynx ? L’ASPAS et les autres associations de protection de la nature le craignent.
« Nos impitoyables chasseurs »
Le lynx boréal était encore présent en plaine au Moyen-Âge. Mais, dans les siècles qui ont suivi, la déforestation, la quasi disparition des ongulés et les persécutions directes ont conduit le magnifique félin sur la voie implacable de l’extinction. Les derniers se sont réfugiés en montagne.
Traqués impitoyablement, ils finissent par y disparaître aussi : en 1822 en Haute-Loire ; le dernier lynx du Massif central est tué en 1875 près de Génolhac, dans les Cévennes ; dans les Alpes et le Jura, les témoignages de sa présence ancienne sont encore nombreux au cours du 19e siècle, mais l’entrée dans le 20e siècle signe la fin du prédateur, en Suisse comme en France.
Pour donner une idée de la situation des ongulés sauvages au 19e siècle, écoutons frère Ogérien, dans son Histoire Naturelle du Jura, parue en 1863 : « Les ruminants sauvages ne sont représentés que par quelques rares individus, qui échappent difficilement au plomb de nos impitoyables chasseurs ».
Une population de lynx très fragile
On sent qu’en matière de régulation, à l’époque, c’est du lourd ! Avec des proies réduites à néant, un espace forestier qui connait sa plus faible superficie depuis la reconquête du territoire européen à la fin de la dernière glaciation, le gîte et le couvert ne sont plus assurés pour le félin tacheté aux oreilles triangulaires surmontées d’une touffe de poils noirs. Il faudra attendre le retour de la forêt, lié à l’utilisation des combustibles fossiles, puis celui des ongulés sauvages pour retrouver un milieu favorable aux grands prédateurs… et aux chasseurs !
Aujourd’hui, le lynx occupe le massif du Jura et ses annexes (montagne de Vuache, du Chat, de l’Épine) suite à sa réintroduction en Suisse dans les années 70, ainsi que dans les chaînes subalpines (Bornes, Bauges, Chartreuse). Mais sa population reste très fragile. En cause : des collisions routières, mais surtout des actes de braconnage… (dernier en date : un mâle adulte retrouvé plombé à Fellering, le 16 janvier 2020).
Dans le schéma de gestion cynégétique 2019-2025 du Jura, il apparaît que « globalement, les effectifs (de chamois) ont fortement régressé dans de nombreux secteurs du département… cette espèce semble subir une forte pression de prédation par le lynx ».
L’idée d’une régulation de ce prédateur pointe son nez… Dans les objectifs concernant les grands prédateurs (lynx et loup), on note : « mieux connaître les populations de grands prédateurs afin d’anticiper leur progression (…) ». Ou encore : « Participer aux actions visant à limiter l’impact des espèces et à l’évolution de leur statut de protection »…
Prédation par le lynx : un nombre de proies dérisoire !
Aussi, quelques chiffres s’imposent pour relativiser les lubies cynégétiques. Les études s’accordent pour estimer la superficie du territoire d’un lynx autour de 100 km2, soit 10 000 ha. Avec une densité de 10 chevreuils pour 100 ha, ce qui reste une valeur faible, nous avons donc 1000 chevreuils sur un territoire de lynx. Quant au chamois, sa densité dans les zones protégées n’est jamais en dessous de 10 individus pour 100 ha : on rajoute 1000 chamois au panier ! Or, un lynx prélève environ 60 ongulés sauvages sur une année (chevreuil et chamois essentiellement). Les chiffres parlent d’eux-mêmes : le prélèvement est dérisoire !
Les observations dans la réserve nationale de chasse des Bauges le confirment : sur les 5214 ha que comporte la réserve, on y compte 1200 chamois, soit une densité remarquable de 23 chamois pour 100 ha ! Probablement la densité la plus élevée en France. Et le lynx est un prédateur présent dans ce secteur. Lynx et très fortes densités de chamois sont donc parfaitement compatibles. Un détail peut-être à rajouter : dans la réserve des Bauges, à l’exception de prélèvement à but scientifique, on ne chasse pas !
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