La stratégie cynégétique des férus de la gâchette se résume aujourd’hui en une simple phrase : il s’agit de toujours s’arranger pour conserver le permis de tuer le plus d’espèces possible, quel que soit leur statut de conservation. C’est ce que les chasseurs appellent la gestion adaptative des espèces… Une logique très inquiétante, puisqu’elle vise, à terme, à aller au-delà de la traditionnelle catégorisation de la faune, entre les espèces protégées, les espèces de « gibier », et les espèces ESOD* (ex « nuisibles »).
C’est précisément cette macabre logique qui risque de s’appliquer dans les prochains jours à trois oiseaux à la situation préoccupante : la tourterelle des bois, le courlis cendré et la barge à queue noire. Alors que le bon sens voudrait que l’on applique un moratoire à la chasse (inutile) de ces espèces, comme l’a recommandé l’Europe aux pays membres concernés, la France cajole une fois de plus ses chasseurs en proposant de fixer de généreux quotas de prélèvements pour la tourterelle (30 000 oiseaux) et le courlis (6 000). Seule la barge échappe au carnage, mais par un moratoire d’un an seulement…
Ces arrêtés, désormais soumis à la consultation du public, ont reçu un avis favorable du Conseil national de la chasse et de la faune sauvage (CNCFS), qui s’est réuni à Paris le 2 juillet, composé majoritairement de représentants du monde de la chasse, de l’agriculture, et des représentants de l’Etat allant tous dans le même sens… Pourtant, le Conseil d’experts de la gestion adaptative (CEGA) créé à cet effet préconisait plutôt le moratoire, ou à défaut, des quotas de prélèvement bien plus faibles !
Dans un communiqué, les associations LPO, France Nature Environnement et Humanité et biodiversité, toutes trois également membres du CNCFS, dénoncent en ces termes la décision du gouvernement, qui a préféré le lobby chasse à l’éthique et la sagesse scientifique :
« Il est (…) inadmissible que le gouvernement se soit appuyé, selon ses propres termes, sur « l’avis minoritaire des 6 experts désignés par la Fédération Nationale des Chasseurs » pour prendre sa décision. Il reconnait ainsi que les experts en question ont été imposés pour faire partie du Conseil, et non pas retenus par le Ministre pour leurs compétences propres conformément à l’arrêté constitutif. En faisant part de leurs avis personnels, émis sans aucune confrontation avec les autres scientifiques dudit conseil, et en refusant de communiquer les contre arguments scientifiques émis en réponse par le Comité d’experts de la gestion adaptative (CEGA), le gouvernement fait part d’un parti pris inacceptable… »
Un nouveau putsch cynégétique donc, pour préserver le loisir d’une minorité, au grand détriment de la biodiversité.
Dans l’édition de juin 2019 du Chasseur français, la tourterelle des bois fait figure de « gibier du mois »… On peut y lire que grâce aux « battements très rapides et saccadés de ses ailes coudées alternent avec des phases de vol plané et procurent des sensations fortes aux amateurs de beaux coups de fusil »… Aucune mention, bien entendu, des chiffres fournis par l’UICN**, qui estime que la tourterelle des bois a perdu 80 % de ses effectifs et qu’elle est en danger au niveau mondial. Tout ce qui intéresse les chasseurs, ce sont ces « sensations fortes » procurées par le geste qui consiste à appuyer sur la détente pour abattre ces magnifiques oiseaux à l’œil rouge et aux ailes de faucon, dont le ronronnement si réconfortant disparaît peu à peu des bosquets de nos campagnes…
* ESOD : Espèces susceptibles d’occasionner des dégâts
** Union internationale pour la conservation de la nature
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