Pour une ONG telle que le WWF, la responsabilité sociétale des entreprises (RSE) constitue un vecteur efficace pour influencer les pratiques du secteur privé et interroger ses modèles économiques. Dans ce contexte, le WWF noue des partenariats privilégiés avec des groupes internationaux et avec des entreprises locales, participe à la production et à la diffusion de normes tout en encourageant le dialogue multi-acteurs.
L’empreinte écologique de la Terre ne cesse de croître depuis 40 ans (1). L’entreprise a un rôle crucial à jouer pour enrayer la dégradation des écosystèmes : d’une part, en participant à la mutation vers des modes de production et de consommation plus durables, et d’autre part, en soutenant les efforts de protection de l’environnement.
Les ONG ont pendant longtemps essentiellement joué un rôle d’interpellation publique vis-à-vis du secteur privé, dénonçant les entreprises peu respectueuses de l’environnement ou des droits humains. Mais les relations ont évolué depuis une vingtaine d’années vers davantage de dialogue et de collaboration. C’est dans cette logique que le paysage de la responsabilité sociétale des entreprises (RSE) – celui-ci constituant un vecteur particulièrement efficace pour influencer durablement le positionnement et les modèles d’intervention du secteur privé. Depuis plusieurs années, le World Wide Fund (WWF) a choisi la voie du dialogue et de la concertation avec le secteur privé : il travaille avec les entreprises dans la perspective de faire évoluer leurs pratiques et de construire avec elles des solutions innovantes dans le but de réduire leur empreinte écologique.
Cette approche est essentielle en Afrique subsaharienne, où les enjeux de protection de l’environnement se posent avec acuité (2). Pour influer les pratiques du secteur privé dans la région, le WWF agit à plusieurs niveaux. Il noue des partenariats avec les entreprises multinationales qui peuvent avoir un impact très fort sur le continent – par exemple dans le secteur minier et dans l’agro-industrie – et commence à accompagner, via ses bureaux locaux (3), des entreprises désireuses d’améliorer leurs pratiques environnementales. Le WWF est présent par ailleurs au niveau des filières industrielles pour coproduire des normes et des certifications. Enfin, il répond à la demande d’appui croissante des États africains dans la mise en place de législations adaptées et tente d’influencer l’environnement des entreprises pour les encourager à développer des politiques de RSE.
Collaborer avec les entreprises
Le WWF noue des partenariats avec les entreprises pour leur faire adopter des pratiques plus durables. Le contour de ces partenariats est défini conjointement avec les entreprises en fonction de leurs principaux impacts environnementaux et des priorités du WWF. Ils comprennent généralement un volet de coopération technique portant sur leur démarche environnementale et/ou sur un « produit partage » (4). Ils sont souvent établis pour une durée de trois ans renouvelable et accompagnés d’une feuille de route. Le rôle du WWF est d’accompagner la démarche globale, mais pas de la mettre en oeuvre directement. En Afrique, cette approche concerne principalement les grands groupes internationaux. Ainsi, le WWF et le groupe Rougier (5), entreprise de production et de négoce de bois, ont entamé en 2015 une collaboration stratégique de trois ans portant principalement sur le développement d’indicateurs pertinents pour la gestion et le contrôle de la faune et de la flore dans les concessions du Gabon, le soutien au bon fonctionnement des unités anti-braconnage dans le nord du Congo, ainsi que l’optimisation du fonds de développement local financé par Rougier. Le WWF entend davantage développer ce type de collaborations avec les entreprises locales ; au Cameroun et en RDC par exemple, le WWF aide déjà certaines entreprises à établir des plans de gestion de la faune autour de leurs zones d’activité.
La réussite de ces partenariats suppose d’effectuer des visites de terrain, d’échanger régulièrement avec les équipes avant et après la signature du contrat, et d’établir un cadre de mise en oeuvre et de suivi structurant incluant des objectifs quantifiés, datés et mesurables.
Elle dépend également d’un portage au plus haut niveau au sein de l’entreprise et de la mobilisation de moyens suffisants. Le WWF s’attache toujours à porter un regard critique et constructif sur les pratiques du partenaire. Il reste vigilant à préserver son indépendance et à ne pas cautionner de démarches « d’écoblanchiment ».
Agir au niveau des filières industrielles
Le WWF agit également au niveau des grandes filières industrielles, où il participe à la définition de normes internationales privées de durabilité accompagnées de certification rigoureuses. Cette approche vise à pallier la faiblesse des règlementations nationales et à orienter les marchés vers de bonnes pratiques.
Le WWF lance ou participe à de nombreuses initiatives visant à rassembler, dans le cadre de « tables-rondes », les intérêts de toute la filière pour développer conjointement de nouvelles normes de gestion durable des ressources naturelles. Une fois produites, ces normes doivent être diffusées le plus largement possible – c’est une dimension importante du travail de WWF. Il faut aussi accompagner les entreprises volontaires dans leur démarche de certification. La certification leur procure, entre autres, un avantage concurrentiel et un gain d’image.
Le WWF est ainsi à l’origine ou a participé à l’élaboration de plusieurs normes privées. Le label Forest Stewardship Council (FSC) pour le bois durable, par exemple, a été créé il y a 20 ans ; aujourd’hui, 14 % des forêts de production dans le monde sont certifiées FSC (FSC, 2012). Le Marine Stewardship Council (MSC), conçu sur le même modèle, concerne les produits de la mer ; environ 11 % de la pêche hors élevage (FAO, 2014) est ainsi labellisée. Fort de ces succès, le WWF a étendu cette démarche participative à une douzaine d’autres filières de production : huile de palme (Roundtable on Sustainable Palm Oil), soja (Roundtable on Responsible Soy), coton (Better Cotton Initiative), etc. Ces normes demeurent cependant encore peu répandues au sein des entreprises africaines (6). L’objectif sera de les étendre davantage au continent africain dans les prochaines années.
Pour influencer les pratiques des grandes filières industrielles, le WWF soutient également la création de réseaux et plateformes. Il a par exemple créé le Global Forest and Trade Network (GFTN) qui réunit plus de 300 membres – fournisseurs, producteurs et acheteurs de bois – dans plus de 30 pays (dont 7 pays africain
s). Son rôle est de promouvoir une gestion durable des forêts. Par exemple, au Cameroun, des formations ont été organisées auprès de plusieurs entreprises (7) pour qu’elles intègrent les meilleures pratiques les ONG ont progressivement émergé dans environnementales et sociales dans leurs opérations. En quelques années, le Bassin du Congo est devenu la sous-région d’Afrique subsaharienne comprenant la plus grande surface de forêts certifiées.
Accompagner les États et les OSC pour mobiliser le secteur privé
Si la volonté politique des États africains de mettre en place des cadres stratégiques pour la RSE est de plus en plus significative, ils manquent de moyens financiers et techniques pour le faire. L’objectif du WWF est de les appuyer dans la définition de politiques publiques et de renforcer leur capacité à faire respecter les normes. Selon le pays, l’enjeu environnemental ou le secteur concerné, les modalités de collaboration du WWF avec les Etats varient. Son champs d’intervention est très large : de la réalisation d’expertise technique (plan de zonages, règlements sur l’usage des sols, etc.), à la facilitation du dialogue entre acteurs, mais aussi l’organisation d’ateliers techniques ou de formation, des appuis techniques à la mise en œuvre de projets, des actions de sensibilisation, le développement et la mise à disposition des outils d’aide à la décision. Le WWF peut aussi participer à des groupes de travail mis en place par les gouvernements. Au Cameroun, il a été à l’initiative en 2013 du lancement du processus d’élaboration de la stratégie nationale de développement durable de la filière « palmier à huile » et a apporté son appui technique dans le processus (Hoyle, Levang, 2012). Le WWF a financé la réalisation de plusieurs études (par exemple une étude diagnostique et prospective de la filière, une revue du cadre juridique et institutionnel de la filière) dont les résultats ont été consolidés dans le projet de document de stratégie nationale.
Le WWF est par ailleurs de plus en plus engagé dans une politique d’influence auprès des États et des organisations régionales africains pour que la question de la préservation de l’environnement soit prise en compte dans l’agenda politique et public. Le WWF intervient également de façon croissante dans les débats publics sur les projets d’infrastructures (énergétiques, minières, etc.) qui peuvent avoir des impacts environnementaux importants : déforestation, dégradation d’écosystèmes sensibles, pollution des sols, etc. Dans les pays africains, les organisations de la société civile (OSC) locales n’ont pas toujours les capacités ou les moyens suffisants pour se mobiliser activement autour de ces projets. C’est pourquoi le WWF soutient en parallèle le renforcement de capacités de ces OSC, ainsi que la création et la formation de coalitions d’OSC. Par exemple, à Madagascar, le WWF a participé à la création de la plateforme Alliance Voary Gasy (AVG) qui regroupe une trentaine d’associations locales engagées dans la promotion d’une meilleure gouvernance des ressources naturelles, et lui a apporté de l’assistance technique. Pour mobiliser le plus grand nombre autour des défis environnementaux, le WWF a adopté un principe d’action qui repose sur le dialogue et la concertation avec l’ensemble des parties prenantes – y compris les entreprises – afin de rechercher et de mettre en oeuvre des solutions durables et efficaces. Ce choix avéré depuis longtemps a porté ses fruits.
Néanmoins, en dernier ressort, lorsque le dialogue avec les entreprises n’aboutit pas et que les dommages environnementaux de leurs activités peuvent être importants, le WWF n’hésite pas à les interpeller publiquement. Le cas de Virunga montre que les campagnes de plaidoyer peuvent constituer un moyen d’action efficace pour influencer les pratiques des entreprises. Cette approche sera renouvelée à l’avenir de façon sélective sur les enjeux de conservation considérés prioritaires au niveau mondial.
Article initiallement publié dans la revue de PROPARCO n°21
Ecrit par :
Anne Chetaille, Chargée de programmes Relations internationales et développement
Jochen Krimphoff, Directeur adjoint en charge du programme Relations internationales et développement
Jean-Baptiste Roelens, Chargé du programme Forêts tropicales et climat WWF France
Notes :
1 Les auteurs remercient pour leur contribution à l’article : Arnaud Gauffier (Responsable du programme Agriculture & Alimentation – Market Transformation Initiative, WWF France), Aurélie Pontal (Responsable de Partenariats, WWF France), Ludovic Miaro (Coordinateur régional du programme Huile de palme, WWF CARPO), Maxime Nzita Nganga
Di Mavambu (Coordinateur régional Business & Industries extractives, WWF CARPO), Laurent Somé (Directeur Conservation par intérim, WWF Regional Office of Africa).
2 Ainsi, selon une étude publiée par le WWF et la Banque africaine de développement (2012), 40 % de la biodiversité africaine a disparu en 40 ans.
3 Le WWF dispose de bureaux régionaux à Nairobi et Yaoundé et de bureaux nationaux en Afrique du Sud, au Cameroun, en République Centrafricaine, en République Démocratique du Congo (RDC), au Gabon, au Kenya, en
Ouganda, en Tanzanie, en Zambie, au Zimbabwe et à Madagascar.4 Le mécanisme du « produit partage », à travers l’apposition de la marque WWF sur les produits de l’entreprise, valorise et promeut des produits élaborés selon des procédés jugés durables afin d’orienter le consommateur et par voie de conséquence, le marché.
5 Rougier exploite plus de 2 millions d’hectares de concessions forestières au coeur de l’Afrique Centrale, Gabon, Cameroun et République Démocratique du Congo.
6 L’Afrique ne représente par exemple aujourd’hui que 3 % des forêts certifiées FSC dans le monde.
7 Groupe PALLISCO-CIFM, groupe Decolvenaere Cameroun, Wijma Cameroun, SFID/Groupe Rougier, groupe Alpicam-Grumcam, etc.
Références