[Tribune] la France veut verdir ses emprunts publics : une bonne nouvelle

Pascal Canfin, Directeur Général du WWF France<br />© Sherif Scouri / WWF France

Le Président de la République a annoncé il y a quinze jours lors de la dernière conférence environnementale que la France serait le premier pays au monde à émettre des « Green bonds ». Les green bonds – obligations vertes en français – sont des titres financiers qui permettent de flécher l’argent levé sur les marchés financiers vers des investissements utiles à la transition écologique.

Dans le monde le marché des green bonds est passé de quelques centaines de millions de dollars US en 2007 à plus de 40 milliards de dollars US en 2015. Soit une croissance annuelle de plus de 50 %. Des entreprises en ont émis, des banques de développement, comme l’Agence Française de Développement, la banque de développement allemande KfW, la Banque européenne d’investissement ou la banque mondiale mais pas encore des États, mais pas encore des États. Or, la moitié du marché mondial de l’émission d’obligations relève des États.

Le fait d’inventer des obligations vertes souveraines va permettre de continuer la croissance de ce marché et d’en renforcer la crédibilité environnementale. En effet, si un État émet des obligations vertes il devra, peut être encore plus que les entreprises, expliquer ce qu’il va financer et s’assurer que ces investissements sont « vraiment verts ».
 
L’annonce du Président de la République, à laquelle le WWF a contribué avec le soutien de Ségolène Royal, ouvre des perspectives importantes. L’Accord de Paris sur le climat adopté en décembre demande à tous ceux qui gèrent l’épargne mondiale sur les marchés financiers de réorienter leurs flux d’investissements pour les rendre compatibles avec un monde qui limite le réchauffement climatique à 1.5/2 degrés. Un tel engagement est absolument décisif. Mais encore faut-il que les fonds de pension, les compagnies d’assurance vie… disposent des outils pour opérer cette réorientation.

Sur le marché des actions, de plus en plus d’indices boursiers proposent des paniers « bas carbone ». J’ai présidé l’an passé les travaux d’un nouvel indice d’Euronext qui est le premier à offrir aux investisseurs un « indice 2 degrés ». Ce panier d’entreprises, excluant bien sûr les acteurs à forte empreinte carbone, aligne son mix énergétique sur celui du scénario de l’Agence internationale de l’énergie, compatible avec le respect des 2 degrés, mais regarde aussi la contribution des entreprises en terme de solutions utiles à la transition.

Ainsi Saint Gobain est une entreprise fortement émettrice de gaz à effet de serre mais les vitrages qu’elle produit permettent d’isoler les bâtiments ce qui est indispensable pour réduire nos émissions. Il faut donc non seulement regarder l’empreinte mais aussi l’impact de ce qui est produit pour savoir s’il faut ou non investir dedans. Ce travail innovant a été couronné par le prix Agefi de l’innovation financière quelques semaines après la COP21.
 
Mais jusqu’à l’annonce de la France il y a 15 jours une telle orientation des flux d’investissement n’était pas possible pour les achats de dette souveraine. Or, une grande partie des investissements nécessaires à la transition vers un « monde 2 degrés » sont des investissements dans des infrastructures (mobilité propre, isolation des bâtiments, réseaux intelligents de gestion de l’énergie…), donc en partie sur fonds publics.

Selon les travaux de l’Institute for Climate Economics de la Caisse des dépôts, il manque en France entre 10 et 15 milliards d’euros d’investissements annuels (publics et privés) pour mettre notre pays sur une trajectoire 2 degrés.

Comme les dépenses publiques font levier sur les dépenses privées des entreprises et des ménages, un euro public peut générer entre 2 et 3 euros d’investissements privés. Un emprunt annuel de 5 à 8 milliards d’euros d’obligations vertes apporterait le financement manquant et donnerait aux entreprises la visibilité nécessaire sur le développement des marchés de la transition dans les années à avenir, justifiant ainsi leurs propres investissements.
 
Une fois la traçabilité mise en place au niveau d’un pays rien n’empêche qu’un débat s’ouvre au niveau européen, pour voir comment organiser ensemble un plan d’investissements dans la transition pour sortir de la situation actuelle où le taux d’investissement dans la zone euro est toujours très largement inférieur à ce qu’il était en 2007 avant la crise financière, alors que les taux d’intérêts sont proche de 0 voire négatif pour les États.

Des émissions d’obligations vertes par les États européens apporteraient, par construction, une garantie sur l’utilisation qui en sera faite et donc permettra de rassurer tous les pays sur le fait qu’il s’agit d’une « bonne dette » investissant dans l’avenir et conforme aux objectifs que nous nous sommes tous fixés dans l’Accord de Paris sur le climat en décembre dernier.
 
Un monde à 4 degrés de réchauffement climatique est un monde nécessairement plus chaotique. Investir aujourd’hui dans la transition décarbonée c’est créer des emplois tout de suite, et assurer les nouvelles conditions de notre prospérité tout au long du siècle.

 
Pascal Canfin,
Directeur Général du WWF France