Les États se sont engagés à Paris en décembre dernier à atteindre une économie neutre en carbone dans la deuxième moitié du siècle. Ce qui signifie pour les pays riches, selon les projections de scientifiques du GIEC, une neutralité carbone dans la décennie 2050-2060.
Pour atteindre cet objectif commun, les Etats restent libres de choisir comment procéder. Certains comme l’Inde ont choisi d’augmenter les taxes sur le charbon. D’autres de subventionner les énergies renouvelables, ou d’imposer des normes aux appareils électriques gros consommateurs d’énergie.
Parmi ces instruments, la mise en place d’un prix du carbone est un élément important. Alors qu’il y a 10 ans, l’Europe était la seule région du monde à créer un système de quotas d’émissions pour son industrie, la Chine a annoncé en 2015 la création du plus gros marché carbone de la planète.
Cela devrait permettre, en 2020, d’atteindre 25% des émissions mondiales couvertes par un système de prix du carbone, contre environ 12% aujourd’hui.
Mais presque partout, et notamment en Europe, le prix du carbone se situe en dessous de 10€ par tonne de CO2 émis. Il y a bien quelques exceptions. En Suède, pays qui a mis en place une vraie réforme fiscale écologique, le prix du CO2 dépasse les 100€ par tonne de CO2..sans que cela n’affecte n’ai la qualité de vie, ni le pouvoir d’achat, ni la compétitivité des entreprises bien au contraire !
En France, la Contribution Climat Energie dépasse désormais les 22€ la tonne, mais ne concerne que les ménages et les PME. Nous sommes donc, en France, dans la situation paradoxale où les grands groupes parmi les plus gros pollueurs paient leur carbone moins chers que les ménages et les PME, car les premiers sont couverts par le marché à mois de 10 euros la tonne, quand les seconds sont couvert par la Contribution climat énergie, pour faire simple la taxe carbone, à 22 euros !
Le dysfonctionnement du marché du carbone est une évidence. A quelques euros par tonne de CO2, le charbon, très polluant, reste plus compétitif que le gaz. Résultat, en Allemagne comme en Pologne, les centrales à charbon tournent à plein régime, tandis que le gaz fonctionne au ralenti.
Au rythme actuel de nos émissions, tout indique que l’UE, qui fut un temps le champion de la lutte contre le dérèglement climatique, ne sera pas au rendez-vous des objectifs qu’elle a pourtant validé à Paris.
La réforme du marché européen du carbone étant justement en cours de négociation entre les Etats et le Parlement européen on pourrait s’attendre à ce qu’elle permette justement de réparer les défauts initiaux et alignent cet outil sur les objectifs de l’accord de Paris. Or, ce n’est pas le cas.
En l’état actuel du texte, les émissions totales de CO2 autorisées par la réforme du marché sont de 2 milliards de tonnes supérieures à la cible minimum que l’UE doit atteindre en 2050 soit moins 80 % d’émissions par rapport à 1990.
Nous sommes très loin d’être en phase avec l’accord de Paris.
Il est donc vital et urgent de corriger le tir. C’est le sens de la proposition de corridor prix carbone que nous avons fait la semaine dernière avec Gérard Mestrallet dans le cadre d’une mission que nous a confiée sur ce sujet la ministre de l’environnement Segolène Royal1
L’idée est simple et robuste. Il s’agit simplement de mettre en vente les quotas d’émission à un prix minimum, et d’en garder quelques-uns en stock pour les revendre si les prix flambe. La Californie, qui a appris des échecs européens, a déjà introduit ce système.
Le Royaume-Uni a lui aussi introduit un prix plancher du CO2 dans la production d’électricité pour en finir avec le charbon. Lors de la conférence environnementale au printemps, François Hollande a indiqué que la France lui emboiterait le pas sur le secteur de l’électricité.
Ce prix plancher, soutenu par une grande partie des acteurs de l’énergie et notamment tous les acteurs des renouvelables, garantit aux industriels la visibilité dont ils ont besoin pour investir dans des technologies décarbonées.
En effet, comment peut on prendre une décision d’investissement qui a durée de vie de 40 ou 50 ans sur la base d’un prix de marché qui évolue tous les jours ! Il faut certes de la souplesse mais aussi un signal prix clair. Couplé à une baisse du nombre de quotas de CO2 autorisée et à une réduction du nombre de quotas alloués gratuitement, ce sytème permettrait de donner un coup de fouet aux investissements verts.
Les Etats se prononcent sur le projet de la commission européenne le 20 juin et les parlementaires européens déposent leurs amendements le 26 juin.
Nous saurons donc dans quelques jours si l’Europe est au rendez vous du climat ou si le leadership climatique est passé en Chine et en Californie !
Par Pascal Canfin et Alain Grandjean,
1Nous avions proposé pour la première fois cette idée dans le rapport que nous avons remis au président de la République en juin 2015