Tout comme le somptueux point de vue qui fait sa couverture, ce nouveau numéro du Courrier de la Nature propose au lecteur de prendre de la hauteur pour comprendre la manière dont les milieux naturels et les espèces qu’ils abritent sont protégés en France : les interdictions de destruction, le processus d’évaluation environnementale et son volet de consultation du public… Dans un dossier spécial en trois partie, Gabriel Ullmann décrypte les procédures en vigueur, leurs failles et leur lente érosion, au fil des réécritures de la réglementation. Pourtant, comme le prouvent les actualités relatées dans ce même numéro, l’état de la biodiversité, en France comme ailleurs, demeure bien fragile… Les ouvrages de spécialistes présentés en fin de numéro proposent d’approfondir ces sujets, tandis que les pages artistiques rappellent la beauté de cette nature à protéger.
Edito
"Le diable est dans les détails
On a pu croire un temps – fugace – que la crise sanitaire serait, à défaut d’une prise de conscience accrue de la place primordiale de la nature pour les sociétés humaines, au moins l’occasion d’une pause dans les réformes qui lui sont néfastes. Las, celles-ci continuent et les termes de « simplification » ou de « modernisation » cohabitent désormais avec ceux de « relance » et d’« accélération » pour justifier les mêmes logiques : il s’agit à chaque fois d’alléger un peu plus les contraintes juridiques qui pèsent sur les activités humaines, et qui ont pourtant été obtenues de longue lutte. Pire même, à relancer la machine économique « quoi qu’il en coûte », et sans mettre en œuvre de changements fondamentaux, la nature – et pas seulement – pourrait bien en payer le prix cher. Les évolutions du droit de l’environnement, trop souvent considéré comme un obstacle et non comme un moyen de préserver ce qui nous lie, ce sans quoi nous (humains et autres qu’humains) ne pouvons vivre, illustrent cette tendance. En la matière, le diable est dans les détails : ceux des procédures et de leur mise en œuvre. Il nous a paru important de mettre en lumière dans Le Courrier de la Natureces aspects parfois obscurs, pourtant décisifs pour la protection des milieux et de leurs habitants non humains. Ce numéro comporte donc un dossier en trois parties consacré à cette thématique. Son auteur est un fin connaisseur de cette mécanique juridique subtile, pour l’avoir pratiquée pendant des années, et aussi l’avoir vue péricliter.
Si la situation sanitaire ne repousse pas encore une fois les échéances, certains événements à venir peuvent faire de 2021 une année importante pour la biodiversité : de la quinzième conférence des parties COP 15 à la Convention sur la diversité biologique en Chine en mai, le congrès mondial de l’Union internationale pour la conservation de la nature à Marseille en septembre, la Stratégie nationale des aires protégées parue en janvier ou encore la formulation de la Stratégie nationale pour la biodiversité attendue cette année. Autant de rendez-vous auxquels la Société nationale de protection de la nature participe déjà et accordera toute son attention.
Mais derrière les ambitions et les affichages, il faudrait déjà veiller à la bonne application des réglementations existantes pour encadrer la conduite des activités humaines. Le rôle des citoyens et des associations est ici crucial : faire entendre nos voix, être vigilants quant aux décisions, alerter et rappeler les pouvoirs publics à leurs obligations quand c’est nécessaire. Travail parfois fastidieux, mais auquel on ne peut se dérober." Romain Gosse, docteur en droit de l’environnement, administrateur de la SNPN.
Les données de terrain forment le matériau essentiel à tout travail de recherche. Les plus anciennes fournissent un précieux témoignage du passé : ainsi une étude démontre-t-elle le déclin des poissons migrateurs en France en deux siècles et demi. Les plus récentes peuvent éclairer l’écologie d’une espèce, comme les déplacements des libellules, ou encore offrir une lueur d’espoir, comme de nouveaux sites abritant le liseron de Durando en Algérie. Ces données ne sont pas toujours récoltées par les scientifiques eux-mêmes : dans l’agglomération grenobloise, les gestionnaires d’espaces verts ont été mis à contribution pour comprendre l’impact de leurs pratiques sur la biodiversité urbaine, tandis qu’une méthode de surveillance des cyanobactéries par les habitants est testée en Côte d’Ivoire. La boucle est bouclée lorsque les technologies du présent, appliquées à des données anciennes, ouvrent de nouvelles perspectives : l’analyse génétique de spécimens de girafesconservés dans des musées a levé le voile sur leur classification.
. Dossier spécial : La protection des espèces et des habitats en France par Gabriel Ullmann, docteur en droit, docteur-ingénieur
"L’État protège-t-il bien les milieux naturels et les espèces qu’ils abritent ? En théorie, notre droit a imposé des interdictions et des évaluations ; en pratique, des dérogations trop systématiques rendent possibles la destruction d’espèces protégées et la dégradation de leurs habitats. Le droit prévoit que les projets d’aménagement soient soumis à une évaluation environnementale sous la forme d’études d’impact et de consultations, du public en particulier. Mais au fil des réécritures de la réglementation, ce processus s’érode dangereusement."
. L’art et la nature selon Guilhem Battistella et Mary Webb