Il fut un temps où Gérard Manset chantait Animal, on est mal. Aujourd’hui, avec la disparition des abeilles, de la grande noctule, du cachalot, de la bécassine des marais, de la pie-grièche à poitrine rose, du gypaète barbu, de la grenouille des champs, c’est Animal, on a mal que nous devrions fredonner.
Ce hors-série du Monde cherche à comprendre pourquoi l’homme s’est transformé en serial killer de nos amies les bêtes.
« Animal, on est mal », pouvait-on entendre en boucle sur les ondes des radios en grève pendant le joli mois de mai 1968. Il s’agissait d’une chanson extraite du premier 45-tours d’un inconnu de 23 ans, Gérard Manset, qui ne voyageait pas encore en solitaire mais n’allait pas tarder à devenir une des figures les plus originales du monde musical français, avec La Mort d’Orion ou L’Atelier du crabe.
C’était un truc bizarre, vaguement surréaliste, pop et sautillant, avec des histoires d’écailles sur le dos et de cornes sur le front, totalement à rebours des afféteries sucrées des yé-yé de l’époque. La chute avait même quelque chose d’effrayant, sorte de darwinisme à l’envers : « Et si on ne se conduit pas bien/On revivra peut-être dans la peau d’un humain »…
« Animal, on est mal. » Cinquante ans après, ce refrain-là n’a cessé de résonner lors de la mise en œuvre de ce hors-série consacré à un bel ami de plus en plus menacé par nos modes de vie. Dans un article terrifiant, Pierre Le Hir nous apprend, par exemple, que le vison d’Europe, le lynx boréal, le bouquetin ibérique, le mouflon d’Arménie, la grande noctule, le cachalot, le globicéphale noir, la bécassine des marais, le bruant ortolan, la pie-grièche à poitrine rose, le gypaète barbu, la grenouille des champs, la tortue d’Hermann sont en voie d’extinction en France. Et que dire de la disparition des abeilles, de l’hécatombe silencieuse dont les insectes sont victimes, de ces oiseaux dont on entend de moins en moins les chants au petit matin ?
Rimbaud, d’un autre temps
« Animal, on est mal. » Encore et toujours. Quand, dans les abattoirs, des bœufs, des vaches, des veaux, des moutons, des lapins, des poulets sont tués dans des conditions insupportables, comme le raconte depuis des années, avec conviction et talent, Audrey Garric dans Le Monde. Lorsque des guépards deviennent des animaux de compagnie l’espace de quelques mois avant d’être abandonnés dans des cages. Au moment où une tigresse, qui a grandi dans un cirque, est tuée à coups de fusil sur un boulevard de la ceinture parisienne, parce qu’elle a voulu goûter à la liberté le temps d’un après-midi.
« Animal, on est mal. » Bien sûr. Puisque l’homme oublie de plus en plus, comme le souligne dans un des papiers d’ouverture de ce hors-série l’écrivain-philosophe Frédéric Boyer, l’âne ou la vache qu’il avait dans la tête. Rimbaud, quant à lui, imaginait l’homme en voleur de feu et en protecteur des animaux. Mais c’était un poète. D’un autre temps.
Animal, on a mal.
Le Monde