Depuis qu'il est enfant, Jean-Philippe Beguin a la passion des poissons. Son père était aquariophile et pour assagir un peu le gamin quand il était remuant, il le mettait devant l'aquarium : « J'étais fasciné par le mouvement, les couleurs, le silence de ce rythme ondulant ».

« Dans le sous-marin, on ne les voit pas, on les entend » Il perd son père à l'âge de six ans mais garde ce souvenir enfoui à tout jamais. Pour éviter l'incorporation sous les drapeaux en Allemagne, il s'engage à 21 ans pour trois ans… dans la marine, affecté à sa demande chez les sous-mariniers ; il rejoint Le Narval à Lorient et va profiter des escales « logé chez l'habitante » dit-il dans un sourire, pour visiter des pays fabuleux et leurs aquariums habités par des centaines d'espèces différentes. « Dans le sous-marin, on ne les voit pas, on les entend, c'est tout un univers, le chant des baleines, les coquilles qui jouent de la percussion contre les parois du sous-marin quand il est sur le fond. Dans un aquarium, on a une visibilité formidable ».

À la fin de son contrat, après quelques années et plusieurs métiers en Bretagne, il revient en Creuse, la terre familiale : il décroche ici des chantiers très divers, des fouilles archéologiques à la maçonnerie, de l'entretien des parcs et jardins à l'encadrement de chantier d'insertion, celui de Bridiers d'abord, puis celui de Traces de Pas aujourd'hui.

C'est en Creuse, il y a 25 ans, qu'il découvre la sculpture en participant à un atelier de la Journée de la pierre à Masgot. Ses créations sont remarquées, il se prend au jeu, y revient chaque année, obtient de nombreux prix à chaque fois. Des sculpteurs allemands l'ont baptisé Carzo pour sa tête d'homme sculptée dans de la Carztein, une pierre très dure.

Des thèmes imposés lors de symposium à ses sujets de prédilection comme la reproduction de modillons en granit ou la sculpture animalière, le poisson avait bien sûr toute sa place. Carzo, sa signature en mouvement s'écrit sur le mur d'un atelier de Traces de Pas, un fil discret guidant un banc de poissons sculptés dans le calcaire, fresque réalisée en 2011. Ici, à l'Alchimie des Jours, il a renoué avec sa passion de jeunesse en construisant un immense aquarium avec les résidents. Il a son atelier pas loin, où il range méthodiquement les pierres qu'il récolte ici et là, comme les marbres rares qu'il trouve dans des carrières abandonnées dans les Hautes-Pyrénées ou ceux que lui rapportent les stagiaires sculpteurs qu'il encadre à Masgot, depuis plusieurs années.

MarqueterieLa sculpture est sa deuxième nature, un geste précis, méthodique, serein. Le travail du marbre est remarquable, il en use comme un marqueteur, il parle d'assemblages. Il est dans le réel, très rarement dans l'imaginaire : « Je commence par la forme générale, je l'affine, puis je recherche des marbres de couleurs différentes pour être au plus près du réel ». Il montre le poisson ange en marbre de Carrare, le baliste masqué « qui ressemble au gangster », du marbre noir de Belgique, au jaune de Sienne ou du granite jaune de l'Inde, les tâches rondes sont des incrustations de marbre noir de Belgique sur du marbre blanc de Carrare, qui peut servir à faire les yeux sur un autre modèle. Quelquefois aussi, il s'amuse, comme cette série de poissons construisant un autre poisson. À la manière d'une recombinaison génétique, l''uf gris et blanc se transforme en petits poissons rayés blanc et noir des séries qui pourraient se décliner à l'infini mais qui finissent par un poisson adulte imaginaire, construit de la diversité de tous les autres ; le message philosophique est évident pour cet artiste à la fibre sociale et humaniste exemplaire.