On la croyait éternelle, invulnérable, la forêt. Pourtant le béton grignote la vallée et, sur les hauteurs, les scieries débitent à tout va. Comme tout le monde dans le Comté, Ahmed, le shérif, ne peut que constater les dégâts. À l’aube d’un second mandat, il navigue, mélancolique, entre ses souvenirs, les nuits avec Maria et le maintien de l’ordre dans ce trou où d’ordinaire rien ne se passe, ou si peu. Mais au seuil de l’été brûlant, tout se détraque. Une bande d’écolos radicaux déguisés en arbres débarque en ville pour s’opposer au massacre des bois. Bientôt, ceux-ci recrachent en lisière les dépouilles d’animaux atrocement mutilés. Alors Ahmed trace sa piste au plus profond de la nature, sauvage, sublime, oppressante.
Ce roman aux faux accents de polar dégage une inquiétante étrangeté et une intensité hors du commun. Un hommage aux paysages aimés voués à disparaître.
L'auteur : XAVIER GLOUBOKII est né en 1975. Il a songé à devenir libraire puis a travaillé comme journaliste à Lyon, animé un blog de cinéma avant d'être aujourd'hui responsable de communication d'un établissement public. Il vit à Vincennes. "Écorces", son premier roman, doit beaucoup à son plaisir de marcheur dans les forêts du Beaujolais vert de son enfance et à son amour de la littérature américaine.
Extrait
"J’étais sorti du chemin. Les roues imprimaient leurs sillons sur l’herbe grasse. La voiture glissait en silence sur le terre-plein. Le moteur coupé, je la laissai rouler quelques dizaines de mètres avant de relever le frein. Le levier craqua cran à cran, déchirant la quiétude d’une fin d’après-midi assoupie. Nous étions au seuil de l’été, la chaleur avait baigné la terre et, derrière la vitre à moitié baissée, bêtes et hommes semblaient s’être accordés pour se taire. Je glissai sur le siège pour atteindre en paresseux la poignée et ouvrir la portière. Dehors, le soleil donnait. J’ajustai mon Stetson et ôtai l’étoile de mon veston. Un mauvais rayon frappant mon torse m’aurait trahi. Il n’en était pas question. Je me voulais furtif et m’acquitter de mon devoir le plus vite possible. Beaucoup plus bas, vers la vallée, j’étais attendu pour dîner. Le vieux Stan m’avait demandé d’intervenir et je n’avais pu lui refuser. Je lui avais promis d’aller jeter un œil et m’étais juré de ne pas m’attarder. J’avais bien tenté de l’assurer que leurs actions étaient pacifiques, qu’ils ne gênaient après tout personne ; il m’avait lancé un regard mauvais en baragouinant quelque chose sur ses foins, qu’ils ne seraient plus bons à rien. «Comme toi », avait-il ajouté à l’intention de son fils. Planté à ses côtés, impassible, Joan avait suspendu le mouvement de sa fourche."