Les mots nous manquent pour dire le plus banal des paysages. Vite à court de phrases, nous sommes incapables de faire le portrait d'une orée. Un pré, déjà, nous met à la peine, que grêlent l'aigremoine, le cirse et l'ancolie. Il n'en a pourtant pas toujours été ainsi. Au temps de Goethe et de Humboldt, le rêve d'une " histoire naturelle " attentive à tous les êtres, sans restriction ni distinction aucune, s'autorisait des forces combinées de la science et de la littérature pour élever la " peinture de paysage " au rang d'un savoir crucial. La galaxie et le lichen, l'enfant et le papillon voisinaient alors en paix dans un même récit. Ce n'est pas que l'homme comptait peu : c'est que tout comptait infiniment. Des croquis d'Alfred Wallace aux " proêmes " de Francis Ponge, des bestiaires de William Swainson aux sonnets de Rainer Maria Rilke, ce livre donne à entendre le chant, aussi tenace que ténu, d'un très ancien savoir sur le monde – un savoir qui répertorie les êtres par concordances de teintes et de textures, compose avec leurs lueurs des dictionnaires éphémères, s'abîme et s'apaise dans le spectacle de leurs métamorphoses.
L'auteur : Romain Bertrand, directeur de recherche au Centre d'études et de recherches internationales (CERI), est notamment l'auteur de L'Histoire à parts égales. Récits d'une rencontre, Orient-Occident (XVIe-XVIIe siècle) (Seuil, 2011, Grand Prix des Rendez-vous de l'histoire de Blois 2012) et du Long Remords de la Conquête. Manille-Mexico-Madrid : l'affaire Diego de Avila (1577-1580) (Seuil, 2016).