Dans l’imaginaire européen, quelques animaux jouent un rôle plus important que les autres et forment une sorte de «bestiaire central». Le loup en fait partie et en est même une des vedettes.
Il occupe déjà cette place dans les mythologies antiques, à l’exemple de la louve romaine, qui a nourri Romulus et Rémus, du loup Fenrir, destructeur du panthéon nordique, et des nombreuses histoires de dévorations, de métamorphoses et de loups-garous. Ces derniers sont encore bien présents au Moyen Âge, même si la crainte du loup est alors en recul. Les bestiaires dressent du fauve un portrait négatif et le Roman de Renart en fait une bête ridicule, bernée par les autres animaux et sans cesse poursuivie par les chasseurs et les paysans.
La peur du loup revient à l’époque moderne. Les documents d’archives, les chroniques, le folklore en portent témoignage: désormais les loups ne s’attaquent plus seulement au bétail, ils dévorent les femmes et les enfants. L’étrange affaire de la Bête du Gévaudan (1765-1767) constitue le paroxysme de cette peur qui dans les campagnes ne disparaît que lentement. Au xxe siècle, la littérature, les dessins animés, les livres pour enfants finissent par transformer le grand méchant loup en un animal qui ne fait plus peur et devient même attachant. Seuls la toponymie, les proverbes et quelques légendes conservent le souvenir du fauve vorace et cruel, si longtemps redouté.
Préface, extrait
"Chaque société construit son imaginaire du monde animal autourd’un petit nombre d’espèces qui lui semblent plus importantes que les autres et qui nouent entre elles des liens remarquables, à la
fois étroits, obscurs et plus ou moins fantasmés. Celles-ci formentune sorte de « bestiaire central » ( j’emprunte cette belle expression à François Poplin), à partir duquel s’articule tout un réseau de légendes,de mythes, d’images et de symboles.
En Europe, ce bestiaire central s’est constitué de bonne heure, dèsla protohistoire ou la haute Antiquité, et est resté à l’œuvre sur unetrès longue durée. Il s’est bâti autour d’un noyau primitif composé de huit animaux à la fois sauvages et indigènes : l’ours, le loup, le sanglier, le cerf, le renard, le corbeau, l’aigle et le cygne. Par la suite sont venusles rejoindre quelques animaux domestiques, d’abord le taureau, le cheval et le chien ; plus tard, le porc, l’âne, le coq et quelques autres.À cette liste, il faut ajouter pour être complet une créature de fiction,le dragon (le plus grand des serpents) et trois animaux exotiques, le lion, l’éléphant et le singe. Soit au total une vingtaine d’espècesjouant un rôle de premier plan dans l’histoire culturelle européenne.
C’est à cette histoire qu’est consacrée la présente série monographique. Pour l’inaugurer, j’ai choisi de me pencher sur un animal sur lequel j’ai peu publié mais qui depuis un demi-siècle occupe une place de choix dans mes recherches et mon enseignement : le loup". Michel Pastoureau
Sommaire
INTRODUCTION
Mythologies anciennes
La louve romaine
Le saint plus fort que la bête46 Le loup des bestiaires
Ysengrin : un loup pour rire ?66 Garous et sorciers
Le nom et l’emblème
Les fables et les contes
Un fauve dans les campagnes
La Bête du Gévaudan
Croyances et superstitions modernes140 Le loup aujourd’hui
SOURCES ET BIBLIOGRAPHIE
Le dieu celte Cernunnos entouré d’animaux sauvages
L'auteur : Historien reconnu des couleurs, Michel Pastoureau l'est aussi des animaux. Depuis sa thèse Le Bestiaire héraldique médiéval, soutenue en 1972, il n'a jamais cessé de travailler sur la symbolique animale et l'histoire de la zoologie. Parmi ses ouvrages publiés au Seuil, citons : L'Ours. Histoire d'un roi déchu (2007) ; Bestiaires du Moyen Âge (2011) ; Le roi tué par un cochon (2015).