Romans

« Les abeilles grises » : un conflit d’actualité

Dans un petit village abandonné de la «zone grise», coincé entre armée ukrainienne et séparatistes prorusses, vivent deux laissés-pour-compte : Sergueïtch et Pachka. Désormais seuls habitants de ce no man’s land, ces ennemis d’enfance sont obligés de coopérer pour ne pas sombrer, et cela malgré des points de vue divergents vis-à-vis du conflit. Aux conditions de vie rudimentaires s’ajoute la monotonie des journées d’hiver, animées, pour Sergueïtch, de rêves visionnaires et de souvenirs. Apiculteur dévoué, il croit au pouvoir bénéfique de ses abeilles qui autrefois attirait des clients venus de loin pour dormir sur ses ruches lors de séances d’«apithe?rapie». Le printemps venu, Sergueïtch décide de leur chercher un endroit plus calme. Ayant chargé ses six ruches sur la remorque de sa vieille Tchetviorka, le voilà qui part a? l’aventure. Mais même au milieu des douces prairies fleuries de l’Ukraine de l’ouest et du silence des montagnes de Crimée, l’oeil de Moscou reste grand ouvert...

 

Ce qu'en pensent Les Echos  : L'apiculteur aux semelles de vent

Philippe Chevilley

Dans « Les Abeilles grises », tout conjugue à nous faire croire en l'homme, en sa force de résilience. Mais la lecture réjouissante du roman d'Andreï Kourkov laisse forcément un goût amer à l'aune de l'invasion de l'Ukraine en cours. Le récit de l'écrivain ukrainien russophone commence quelque temps auparavant, dans le Donbass, où Vladimir Poutine avance ses pions en armant les séparatistes russes.Situé dans la zone grise entre ces derniers et l'armée ukrainienne, le petit village de Mala Starogradivka ne compte plus que deux habitants. Sergueïtch, le héros du livre, est apiculteur. Séparé de sa femme et de sa fille, il vit seul avec ses abeilles. A quelques centaines de mètres réside son exennemi d'enfance, Pachka, râleur impénitent. C'est l'hiver et les deux hommes vivent chacun d'expédients, de dons et de trocs (le miel est une bonne monnaie d'échange). Alors que Pachka tisse des relations fructueuses avec ses amis séparatistes qui le pourvoient en pain et en vodka, Sergueïtch noue une amitié désintéressée avec un jeune soldat ukrainien.

Truffée de mini-rebondissements drolatiques, cette chronique d'une hibernation forcée, ponctuée de tirs d'obus, est en soi un petit chef-d'oeuvre. Mais le récit prend son véritable envol avec l'arrivée du printemps. Pour offrir un espace pacifié à ses abeilles, Sergueïtch décide de partir sur les routes minées et barrées de checkpoints avec sa voiture, une vieille Tchetviorka, et ses six ruches. Il entame une brève « love affair » avec une belle villageoise d'Ukraine de l'ouest, puis se lie avec une famille Tatar en Crimée. A chaque étape, il est rattrapé par le conflit en cours et doit affronter la méfiance que lui vaut son statut ambigu d'habitant du Donbass.

Un antidote à la barbarie

En Crimée, la mainmise russe se révèle de plus en plus oppressante. Epié, confronté à la paranoïa des autorités, Sergueïtch a du mal à conserver son optimisme et sa joie de vivre. Méditant sur la beauté de la nature, sur la société idéale des abeilles, le candide apiculteur doit miser sur son instinct - et sur la chance - pour éviter que son périple ne tourne au fiasco : aider la famille musulmane qui l'a accueilli, sauver ses ruches et revenir au bercail, dans sa « zone grise ». Une zone qui comme tout le reste de l'Ukraine est aujourd'hui devenue rouge sang.

La compassion, la tendresse, la poésie, quelques notes de fantaisie et d'humour : un arrière-goût de miel succède au bout du compte à l'amertume. Le roman « Les Abeilles grises » est la lecture indispensable de ces temps de guerre. La littérature comme antidote à la barbarie et au désespoir.

Code EAN

9791034905102

Editeur

Date de parution

Tranche d'âge

2022-02-03

Nombre de pages

Collection

400

EN LIEN AVEC LE SUJET

accueil livre

SITE WEB